DYSTOPIE — Charlotte Bousquet est des auteurs que nous aimons suivre, chez Café Powell, qu’elle signe des bandes-dessinées, des séries jeunesse ou des romans pour les ados. C’est à cette dernière tranche d’âge que s’adresse son dernier roman paru, Sang-de-Lune.
Les Sang-de-Lune, à Alta, ce sont les femmes, par opposition aux Fils-du-Soleil, les hommes. Ceux-ci ont l’ascendant sur les premières, car issus de l’astre solaire qui, dans des temps immémoriaux, a été trahi par la Lune. En compensation, les Sang-de-Lune sont opprimées, dominées par leurs seigneurs et maîtres, car susceptibles, elles aussi, de céder aux Ténèbres qu’elles recèlent en leurs seins.
C’est dans ces conditions que grandit Gia, une adolescente tranquille ; Arienn, sa petite sœur, est malheureusement beaucoup plus agitée. Gia craint pour la vie de sa cadette et tente de réfréner les élans révolutionnaires de la fillette. Las, ce n’est pas toujours facile. Surtout lorsqu’Arienn s’insurge devant l’iniquité du traitement réservé aux femmes, notamment lorsqu’on oblige toute la famille à participer à la lapidation d’une des leurs, condamnée à mort. Ou quand elle découvre la carte d’un monde inconnu. Les deux jeunes filles se piquent alors de rêver à une possible liberté, loin d’Alta, loin également des Régions Libres où sévissent barbares, rebelles et truands de tous poils. Mais le temps presse, car Gia va bientôt devoir épouser le mari de feue sa tante…
C’est donc une dystopie que nous propose Charlotte Bousquet, se déroulant en sous-sol, suite à une catastrophe écologique et humanitaire qui n’est évoquée qu’à mots couverts. D’ailleurs, plus l’on progresse vers la fin, plus l’on sent l’expérience scientifique qui a, finalement, mal tourné.
Pour le meilleur, et surtout pour le pire, Alta repose désormais sur une civilisation qui donne toute latitude aux hommes et oppresse les femmes – toute ressemblance avec la réalité ne serait, évidemment, absolument pas fortuite. Ainsi, le roman repose sur une intelligente réflexion sur les rapports entre les deux sexes et sur les ravages que peut créer une éducation enfermant chacun dans un rôle figé. Mais le roman a également toutes les qualités d’une bonne dystopie pour adolescents : il y a de l’action, des rebelles prêts à tout, des traîtres, des rebondissements menés de main de maître et souvent surprenants, ainsi qu’une réflexion poussée. Et il y a mêmes des histoires d’amour, quoique nettement moins convenues que ce à quoi nous a habitué le rayon ces dernières années.
L’héroïne, Gia, est vraiment intéressante : en effet, elle n’est pas très à l’aise avec la situation dans son pays, mais ne fait rien de spécial. C’est Arienn, sa petite sœur, qui est son véritable moteur. Et cela change car, habituellement, on suit plutôt le personnage qui fait bouger les choses ou souhaite que la situation évolue. Ainsi, Gia réagit souvent à contretemps, essentiellement pour sauver sa petite sœur, ou se conformer aux idéaux de sa cadette – ce qui peut, d’ailleurs, occasionner quelques malentendus entre elles.
Mais ce qui est passionnant, c’est que le duo permet de montrer toutes les turpitudes de cette société patriarcale. Entendons-nous bien, la plupart du temps, le récit est absolument révoltant et d’autant plus quand on sait que ce que Charlotte Bousquet décrit dans un roman de science-fiction est la réalité pour de nombreuses femmes – et pend au nez de nombreuses autres, si toutefois la société dite « civilisée » continue sur le chemin qu’elle a emprunté. Oppression religieuse, obscurantisme, banalisation de la violence : il est parfois difficile de garder son calme devant ce que l’auteur nous décrit !
Malgré tout, l’histoire est originale et les rebondissements souvent surprenants. Difficile de faire du neuf en dystopie, pourrait-on penser, mais Charlotte Bousquet prouve que s’éloigner des bornes du genre pour proposer une intrigue inédite est possible – et ce pour le plus grand plaisir du lecteur. D’autant que le style de Charlotte Bousquet est, comme toujours, aussi fluide qu’envoûtant.
Sang-de-lune est une dystopie au fond littéralement passionnant et qui évoque avec brio la condition des femmes : un sujet à ne pas négliger !
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