ROMAN HISTORIQUE — Ce livre, je l’attendais depuis des mois. Quand j’ai appris qu’il avait été récompensé par le prix Pulitzer, puis par le National Book Award, cette envie de le découvrir n’a été que plus forte. Grâce aux éditions Albin Michel, chaque lecteur francophone peut désormais en découvrir la traduction : Underground Railroad est désormais en librairie !
Auréolé de ce succès dans le monde du livre anglo-saxon, Underground Railroad arrive donc enfin dans nos bibliothèques. Et, nous ne vous ferons pas languir davantage : ce succès est amplement mérité. Dans Underground Railroad, Colson Whitehead nous livre une description sans concession de la sauvagerie ordinaire aux États-Unis au XIXe siècle, un état des lieux sanglant de l’esclavage dans le sud du pays. Le chemin de fer clandestin, ce réseau qui a aidé de nombreux esclaves à quitter le sud pour le nord libre, est bien évidemment, au vu du titre, la colonne vertébrale du récit. Mais plutôt que de décrire un réseau abstrait, Colson Whitehead a décidé de rendre ce chemin de fer très concret, en imaginant une véritable ligne ferroviaire souterraine, qui transporterait les esclaves en fuite du sud vers le nord. Une idée originale, une métaphore audacieuse qu’on ne peut que saluer !
Ce chemin de fer clandestin, Cora, environ dix-sept ans, n’avait pas prévu de l’emprunter un jour. Autrefois, sa mère a fui et l’a abandonnée sur la plantation. Cora sait ce qui arrive aux esclaves qui s’enfuient et qu’on rattrape : leur sort est pire que la mort car avant de les exécuter, on leur fait subir les pires sévices. Le nouveau maître est de surcroît quelqu’un qui aime être cruel, et imaginatif dans le choix de ses punitions. Aussi, quand Caesar lui propose de partir avec lui, Cora refuse dans un premier temps. Avant de finir par accepter. Commence alors une fuite terrible, jalonnée d’épreuves, en direction de la liberté.
C’est une description absolument terrible de l’esclavage que nous propose Colson Whitehead : à la lecture de son roman, on se rend compte que les nombreux récits qu’on a pu lire sur le sujet ont bien souvent été édulcorés. Ici, les lynchages sont monnaie courante, un maître peut brûler vif son esclave s’il le souhaite, et le racisme est élevé presque au rang de religion. Nombreuses sont les scènes choquantes : mais elles sont nécessaires pour retranscrire toute l’horreur de l’esclavage, afin que l’on s’assure qu’elles ne se reproduisent plus jamais. Et quand Colson Whitehead prend des libertés avec l’histoire (comme lorsqu’il imagine un réseau ferré souterrain bien réel), c’est pour mieux dresser le portrait de ce sud violent, âpre, arriéré.
Mais arriver au nord n’est pas un gage de sécurité, car même là bas, les chasseurs d’esclaves peuvent vous y traquer. Colson Whitehead donne alors voix à l’un d’entre eux, limier obsessionnel prêt à tout pour traquer sa proie. Pas franchement cruel, pas comme le maître de Cora qui viole, bat et mutile juste pour le plaisir, juste excité par le défi que représente toute chasse. Véritable métaphore du sud tout entier, Ridgeway était autrefois un chasseur prestigieux, aux talents réputés, mais il est désormais moribond, presque vaincu par son plus grand échec : n’avoir jamais retrouvé la mère de Cora. Au fil du roman, le lecteur voit Ridgeway décliner. Même s’il perd en substance et en force, il reste dangereux, et on en vient à bout difficilement. Un peu comme le sud lors de la guerre de Sécession…
Maniant l’Histoire avec un grand H avec dextérité, Colson Whitehead tisse un récit efficace, qui sait tenir son lecteur en haleine, et le plonge aux côtés de ses personnages dans les tourments de la fuite comme s’il y était. C’est effectivement un très bon roman, dont on aurait presque aimé qu’il soit plus long. Ce récit est une véritable prouesse, c’est un grand roman sur ce fléau qu’a été l’esclavage. Merci M. Whitehead pour ce beau moment de littérature !
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