LITTÉRATURE CONTEMPORAINE — Écrivain d’origine russe et de langue française, Andreï Makine a reçu de nombreux prix, tout au long de sa carrière, pour ses écrits, et occupe actuellement un siège à l’Académie française. L’Archipel d’une autre vie, dont on parle aujourd’hui, a d’ailleurs reçu le Prix Littéraire les Lauriers Verts, au cours de la rentrée littéraire 2016.
L’archipel d’une autre vie se situe aux confins de l’Extrême-Orient russe, balayé par les vents du Pacifique, presque inconnu des humains qui occupent les terres limitrophes. Mais, avant de découvrir l’archipel des Chantars, Pavel Gartsev est un soldat soviétique, occupé à anticiper les risques nucléaires et à agacer sa hiérarchie. Celle-ci l’envoie donc, en compagnie d’autres soldats, à la poursuite d’un dangereux criminel échappé d’un goulag. Commence alors pour la petite unité une impitoyable traque à travers la taïga, aux prémices de l’hiver. Or, rapidement, il s’avère que le criminel en fuite est insaisissable. Se fondant dans la taïga, il en déjoue tous les pièges, s’amuse à semer les soldats et prend même le temps, malgré des blessures manifestes, de les retarder. Qui est cette mystérieuse personne ? La hiérarchie a-t-elle envoyé les soldats à ses trousses, ou cherche-t-elle un moyen de se débarrasser de tout le monde ?
En dire plus déflorerait de trop ce texte magnifique – à ce titre, fuyez les résumés commerciaux qui en disent bien trop long sur certains aspects de l’intrigue et en gâchent les surprises.
L’histoire prend la forme d’une immense analepse car, aux débuts du roman, Pavel rencontre un jeune garçon à qui il raconte son histoire. Et, si la présence du jeune homme semble, à première vue, un peu étrange, elle s’explique parfaitement dans la fin.
Dans la bouche de Pavel renaissent des heures sombres : l’URSS des années 1950 n’est pas exactement la contrée la plus riante qui soit et son récit est là pour le prouver. Des exactions de l’armée aux coups fourrés de la hiérarchie, tout y passe.
Rapidement, on change pourtant de ton avec le début de la traque. Celle-ci fait la part belle à la nature : le fugitif taille sa route à travers la taïga, faisant fi des rares sentes qui la traversent, obligeant les soldats à suivre du mieux qu’ils peuvent. Et c’est là que se déploie le talent de l’auteur.
La traversée sans concessions de cette nature pour le moins hostile renvoie les hommes face à eux-mêmes. Quasiment perdus au milieu de nulle part, sans les repères familiers de la civilisation, les hommes révèlent leurs véritables natures. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas toujours bienveillante. Au fil des pages, on en vient à connaître un peu mieux chacun des membres de l’unité et, chose étrange, le fuyard.
Tout cela sur fond de nature vierge : la taïga est elle aussi un personnage à part entière, un personnage entier, magnifique et pourtant sans concessions – à l’image des autres, somme toute. L’écriture d’Andreï Makine, vive et précise, rend un puissant hommage aux terres glacées que l’on traverse et ne rend que plus passionnante la traque qu’il narre.
L’Archipel d’une autre vie mêle de nombreuses influences : récit survivaliste, impitoyable chasse à l’homme, exploration minutieuse de la taïga… trois aspects auxquels se mêle l’incessant dialogue entre le soldat et la nature, dont la force traverse, de part en part, ce récit plein de tension.
Un très beau souvenir de lecture pour moi: c’est le livre d’un romancier qui connaît son métier et sait émouvoir.