Un roman de super-héros peu ordinaires : Héros secondaires

Héros secondaires, S. G. Browne

NEW-YORK — Des super-héros new-yorkais, sur fond de satire du marché de la santé aux États-Unis : je dis oui ! Et vous devriez vous aussi…

Lloyd a trente ans, et c’est plutôt le genre de gars qui se laisse porter dans la vie, qui profite des opportunités qui se présentent sans chercher à les provoquer. C’est ainsi qu’il est devenu cobaye pour l’industrie pharmaceutique : moyennant plusieurs centaines voire millier de dollars, vous pouvez lui faire tester antidépresseurs, viagra et médocs en tout genre. Quand il n’ingère pas des petites pilules contre rémunération, Lloyd fait la manche dans les rues de New York. C’est un gentil loser, sans véritable but dans la vie.

Un jour, après une étude carabinée, il se rend compte qu’il a acquis la capacité d’endormir les gens et que ses potes cobayes ont eux aussi développé d’étranges pouvoirs : Randy provoque de l’eczéma à volonté, Vic fait vomir les gens, Charlie déclenche des convulsions,… bientôt, notre joyeuse bande se demande si elle ne pourrait pas mettre à profits ces nouvelles facultés, contre ceux qui commettent des incivilités ou des agressions. En somme, et s’ils devenaient une sorte de justiciers, de super-héros ?

Qui n’a jamais rêvé de pouvoir rabattre son caquet à un petit caïd dans la rue ? Lloyd se découvre subitement cette capacité. Subitement, notre héros se sent utile, à sa place : c’est sûr, il a trouvé sa voie. Métaphore à peine masquée des mensonges de l’âge adulte (vous pensiez savoir quoi faire de votre vie à trente ans ? Raté ! L’âge adulte ne vient pas avec un mode d’emploi.), l’aventure que vit Lloyd lui donne l’impression de s’accomplir enfin… à tort. Mais ses tâtonnements avec son identité profonde montrent bien à quel point le jeune homme se cherche, à quel point ce qu’il est devenu ne cadre pas forcément avec ce qu’il s’imaginait enfant. Et qui n’a jamais vécu ce décalage, ce sentiment d’avoir été floué, qu’on ne devient pas soudain adulte et accompli en claquant des doigts, en passant le cap des vingt, vingt-cinq ou trente ans ?

De même, la question de la sur-médicalisation vous parlera aussi peut-être. Nous vivons dans un monde où l’on pense qu’avec quelques pilules, on pourra tout arranger : en témoignent les nombreuses pubs à la télévision pour un médicament miracle qui vous fera retrouver la ligne sans effort ! Aux États-Unis, c’est pire : vous pouvez voir des publicités pour des choses très sérieuses comme des antidépresseurs à la télévision. La santé est devenu un marché très juteux, avec son emballage marketing acidulé. Lloyd est une des composantes du système, en testant des substances mises par la suite sur le marché. On étudie sur lui les effets secondaires dont certains, ironie de la chose, correspondent au trouble qu’ils sont sensés soigner : des anti-migraineux qui provoquent des maux de tête, des médicaments contre la nausée qui peuvent donner envie de vomir… c’est après avoir fait ce constat que S. G. Browne a eu l’idée d’écrire ce roman.

Fort de personnages résolument attachants (des « gentils losers » comme les désignent la quatrième de couverture), Héros secondaires dépeint une société malade, complètement gangrenée par le système pharmaceutique, qui nous gave toujours plus de substances, dans un cercle vicieux difficile à entraver. Dans ce contexte, nos héros cherchent leur place, tirant leur beurre du système, puis essayant d’aider la société grâce aux pouvoirs étonnants développés à cause de leurs missions de cobayes. La comédie proposée par S. G. Browne est peut-être acide et sans concessions, mais elle est d’une certaine manière salutaire. Et pour ne rien gâcher, on ne boude décidément pas son plaisir à la lecture des péripéties de nos anti-héros aux pouvoirs décidément peu ordinaires !

Héros secondaires, S. G. Browne. Agullo fiction, 2017. Traduit de l’anglais par Morgane Saysana.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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