CONTEMPORAIN — Le Manuel de survie à l’usage des jeunes filles (ou Sal, en version originale, du nom de sa narratrice) est le premier livre de Mick Kitson, ancien journaliste reconverti en professeur. Né au Pays de Galles et élevé à Londres, il vit désormais en Écosse, qui a servi de décor magistral et sauvage à son récit initiatique
C’est l’histoire de Sal, une jeune fille de 13 ans au caractère bien trempé, débrouillarde et très mature pour son âge, et de sa sœur Peppa (10 ans), plus résiliente et vive d’esprit. Sal a planifié leur fuite pendant presque un an. Petit à petit, en secret, elle a su réunir les compétences et le matériel nécessaires à l’élaboration de son plan. Elle a ainsi regardé des vidéos Youtube sur les différentes méthodes de survie (construction de cabane, chasse, …), acheté en cachette du matériel de base type canifs, vêtements chauds, chaussures de marche, et surtout — surtout ! —, elle a appris à protéger sa petite sœur. Car on découvre assez vite que Robert, le nouveau compagnon de leur mère alcoolique, est plus que mal intentionné. Il a déjà violé Sal plusieurs fois et compte désormais s’en prendre à la benjamine. Les deux sœurs s’enfuient donc dans la forêt écossaise, en plein hiver. Car tout vaut mieux plutôt que d’être séparées par les services sociaux, ce qui ne manquerait pas d’arriver si elles dénonçaient Robert !
C’est un récit âpre, raconté à la première personne par Sal, avec ses mots de jeune fille : pas tout à fait une adulte malgré les évènements, et plus tout à fait une enfant. Perdue entre deux âges, perdue entre deux rôles (être un sœur et une mère de substitution), Sal avance désormais au jour le jour et prend les problèmes dans l’ordre où ils arrivent. Le ton sonne d’ailleurs étonnamment juste et c’est un vrai tour de force, dans la mesure où saisir la voix d’un tel personnage n’est pas aisé. C’est d’autant plus crédible (et parfois également un peu frustrant) que le discours de Sal est parfois en deçà des évènements, comme si elle ne réalisait pas pleinement l’importance et la gravité de ce qui lui arrivait.
C’est également un récit de survie : non seulement Sal s’est renseignée sur le sujet, mais à travers elle, l’auteur aussi. De nombreux détails émaillent d’ailleurs le texte, tout au long des pérégrinations des deux sœurs : comment chasser, l’impact de la carabine à air comprimé, comment pêcher, quelles plantes utiliser, où placer les latrines dans un camp, … Ce côté Into the wild pourra d’ailleurs perdre quelques lecteurs si l’aspect pratique de l’aventure les intéresse moins que la psychologie des personnages.
Sous un certain angle, ce roman pourrait également se révéler être un conte, plutôt sombre au vu des problématiques abordées : les abus, les addictions, l’abandon, la survie, … Les personnages, au demeurant peu nombreux, sont décrits de manière assez vague et sont caractérisés surtout par leur fonction : il y a donc les deux héroïnes, le méchant, la mère, la sorcière (Ingrid, qui va les aider à survivre) et le chevalier fort serviable (Adam, qui apparaît sporadiquement mais qui va donner un coup de main non négligeable). L’histoire semble aussi s’inscrire dans un non-lieu et dans un non-temps puisque peu d’indications temporelles et géographiques sont données. Les quelques maigres indices donnés permettent finalement de comprendre que le récit nous est contemporain et une indication à la toute fin du livre permet de localiser géographiquement la forêt mentionnée. Attention également si vous vous lancez dans cette lecture suite à une passion dévorante pour l’Écosse (car ce livre fait partie de la bibliothèque écossaise des éditions Métailié), vous ne retrouverez pas l’ambiance si particulière des forêts des Highlands, où la frontière en magie et réalité est un peu plus mince qu’ailleurs. Ce Manuel de survie à l’usage des jeunes filles est au contraire très ancré dans une réalité plutôt âpre !
C’est donc un roman épuré et pourtant très percutant, qui va directement à l’essentiel, métaphore d’un retour à l’état sauvage sans aucun doute. Il illustre à merveille la force de l’amour sororal et les montagnes que l’on est capable de déplacer pour protéger sa fratrie.
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