ROMAN GRAPHIQUE — Il est des livres dont tout le monde connaît le titre, mais pas forcément le contenu. Des classiques ! L’Amant de Marguerite Duras fait indubitablement partie de ces chefs d’oeuvre. Mais si vous n’aviez jamais eu l’occasion de déguster le roman ou de voir son adaptation cinématographique, il est encore temps de vous pencher sur la version graphique, à mi-chemin entre la bande dessinée et le manga, de Kan Takahama, publiée en début d’année chez Rue de Sèvres.
Marguerite Duras a 15 ans et vit en Indochine avec sa mère et ses deux frères. Pensionnaire dans un lycée pour étudier les mathématiques, elle ne rêve que de devenir écrivain. Sur le bac qui traverse le fleuve séparant son lycée de sa pension, elle fait la connaissance d’un riche chinois. Ils tombent éperdument amoureux et commencent une relation faite d’amour et d’argent qui durera un an et demi durant lequel ils se verront régulièrement. Marguerite devra faire face à la honte, la peur, la jalousie et parvenir à trouver sa place au sein d’une famille où il est difficile de s’imposer.
Difficile, quand on n’a pas lu l’original, de s’atteler à décortiquer une adaptation. Pourtant, la mission semble réussie. Les dessins de Takahama nous transportent immédiatement en Indochine. La palette de couleur, tirant légèrement vers le jaune, est empreinte d’une douce mélancolie. Et les dessins ne sont jamais écrasés par le texte : les deux se répondent parfaitement. Deux grandes nattes, les yeux cernés, le regard dur et un chapeau vissé sur le crâne : voilà donc Marguerite Duras à 15 ans, celle qui va nous conter son histoire. La mangaka a choisi de ne pas faire de ses personnages des gravures de mode, mais au contraire elle a fait quelque chose de très réaliste et terriblement sensible, ce qui les rend d’autant plus touchants.
La mangaka a non seulement réussi à respecter et sublimer l’oeuvre de départ, mais elle a également réussi à y apporter sa touche personnelle. Elle met en abyme Marguerite Duras elle-même, en la représentant plus âgée à sa table de travail, submergée par les souvenirs de sa jeunesse. Impossible donc dans ces conditions, de ne pas réfléchir à l’auteure Marguerite Duras plutôt qu’à l’adolescente : comment a-t-elle retranscrit ses souvenirs ? La précision est-elle importante ou l’imaginaire peut-il combler les vides et prendre le relai quand les souvenirs sont flous ? Et finalement comment une expérience aussi intense (un amour aussi fou, envers et contre tous, envers et contre la honte et la pression sociale) forge-t-elle l’adulte à venir ?
Kan Takahama nous offre donc une belle opportunité de découvrir un classique autrement, et surtout une jolie manière d’aborder l’oeuvre de Marguerite Duras. Et qui sait, de se plonger dans le roman ?
Soyez le premier à commenter