NEW-YORK — La vie de bohème, la vie d’artiste : c’est le quotidien de la jeune Rainey Royal, quatorze ans. La jeune fille vit chez son père, célèbre musicien de jazz, qui aime s’entourer d’apprentis musiciens tous tombés sous son charme. Leur maison est ouverte à tous, et la jeune fille ne sait jamais si, en rentrant chez elle, elle ne trouvera pas quelqu’un échoué sur son lit.
Comment se construire lorsqu’on a quatorze ans, dans le New York des seventies, avec un père qui préfère l’art et le sexe à la stabilité et à la famille ? Telle est la question que pose D’extase et d’amour féroce, premier roman de l’Américaine Dylan Landis. Livrée à elle-même dans ce gigantesque manoir de Greenwich Village, privée de sa mère partie vivre dans un ashram, Rainey s’interroge. Elle s’interroge ainsi sur les visites nocturnes du meilleur ami de son père, qui vient lui caresser les cheveux et lui masser le dos le temps qu’elle s’endorme. Elle s’interroge sur l’effet boeuf qu’elle fait sur ses profs masculins. Elle s’interroge sur sa meilleure amie, Tina, et se demande si, par hasard, la vie de celle-ci ne serait pas inventée de toutes pièces.
Véritable roman d’apprentissage, D’extase et d’amour féroce nous conte le cheminement d’une adolescente pas comme les autres, qui se sent obligée de présenter au monde un visage frondeur, assuré et même un peu cruel, alors qu’au fond d’elle, elle est, comme tout un chacun, en proie au doute. Nous suivons Rainey d’année en année : nous la découvrons charismatique, insolente mais profondément perdue. Au centre du roman se déploie une relation ambigüe avec son père, qu’elle aime et qu’elle déteste à la fois, qu’elle idolâtre et qu’elle méprise dans le même mouvement.
Voilà un roman vibrant et intense, porté par une héroïne à la voix forte, à la gouaille indéniable, qui dissèque le milieu artistique new-yorkais des années 70 avec une pointe de cynisme et très peu de concessions. Rainey fascine, aussi bien le lecteur que les gens autour d’elle. À seulement quatorze ans, elle possède une force d’attraction peu commune : elle attire l’attention partout où elle va. Une personnalité solaire, et un art consommé de la manipulation peuvent lui ouvrir toutes les portes. Pourtant, nous la sentons profondément vulnérable. Si, au lycée, elle est à l’image de son nom royale, à la maison, elle n’est plus qu’une petite peste profondément démunie, qui se réfugie dans le sanctuaire de sa chambre rose qu’elle est prête à défendre bec et ongles. On se souviendra d’une scène mémorable, où, pour défendre son territoire, elle n’hésitera pas à prendre en otage un violoncelle. Que fais-tu dans la vie, Rainey ? « Je suis en train de foutre la merde » (p. 30). Voilà qui résume tout, dans ce très beau portrait d’une adolescence qui se cherche et qui, au fil des pages, apprend ce qu’est la vie, la vraie.
D’extase et d’amour féroce, Dylan Landis. Plon, 2016. Traduit de l’anglais par Emmanuelle Aronson.
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