Golden State : la vérité, rien que la vérité

Golden State

DYSTOPIE — De Ben H. Winters, nous connaissions déjà l’attrait pour la distorsion de la réalité. Dans Dernier meurtre avant la fin du monde, il imaginait une apocalypse imminente et l’impact que cela aurait sur le monde. Dans Underground Airlines, il brossait une Amérique encore aux prises avec l’esclavage à notre époque. Dans Golden State, l’auteur propose encore autre chose : après une catastrophe, l’Amérique s’est divisée en de multiples petites enclaves, en de micro-pays. Le Golden State, autrefois connu sous le nom « Californie », est l’un d’eux. Sa particularité : la vérité y est élevée au rang de religion.

Imaginez un monde où l’objectivité est le fondement de tout. Où les faits absolus sont la base de votre vie de tous les jours. Vous croisez votre voisin et après avoir dit bonjour, vous lui assénez quelques vérités : 2 + 2 font 4, la Terre tourne autour du Soleil, Paris est en France, l’équipe de France est éliminée de l’Euro 2020. Les menteurs sont sévèrement réprimés : pour eux, c’est au mieux la prison, au pire l’exil dans le désert hostile entre la Californie et le Nevada. Mais comment traquer les menteurs ? On fait appel au service spéculatif, dont notre héros, Laszlo, est un des estimés membres. Un enquêteur d’une drôle de sorte, qui a le pouvoir de flairer le mensonge et qui travaille sur les crimes mettant en péril Ce Qui Est. Un jour, notre détective du faux est appelé sur un accident mortel. Il met alors le doigt dans quelque chose qui le dépasse totalement…

Les faits, les faits, rien que les faits : Golden State met en scène un microcosme où tout doit être soigneusement documenté, enregistré, compilé. Chaque habitant tient un registre personnel qu’il doit remettre à la postérité, il y a des caméras et des micros partout, rien ne doit déroger à Ce Qui Est. Aux services spécialisés de proposer une seule et unique version de la vérité, d’un passé unique et absolu. Pour être honnête, c’est à la fois vertigineux et oppressant. Les zones d’ombre sont abolies, l’honnêteté est reine, même le plus petit des mensonges ne passera pas. Mais soyez rassurés : on vous permet encore les métaphores et l’humour… Ouf !

Golden State a indéniablement un petit côté dystopie orwelienne : Big Brother is watching you, tout le temps, à n’importe quel moment. On s’assène des formules toutes faites et quasi sectaires comme chez Atwood. Les personnages sont convaincus du bien-fondé de tout ça, après tout, ils n’ont connu que ça. Mais qu’il y a-t-il en dehors du Golden State ? Et le Golden State n’est-il pas un poil corrompu ? Laszlo aura bien du chemin à parcourir…

Le roman ne repose pas sur un suspense de folie, même si le banal accident sur lequel notre héros enquête n’est que le déclencheur de quelque chose de beaucoup plus grand, mais il a le mérité d’offrir une réflexion intéressante sur le concept même de vérité, sur le mensonge, cet acte apparemment anodin que, soyons honnêtes vous et moi, on accomplit quotidiennement… Quel impact immédiat, songerez-vous peut-être, sur la fiction ? Ben H. Winters apporte des éléments de réponses avec une mise en abîme intéressante : le livre s’ouvre sur une attestation proclamant qu’il s’agit là d’un roman consacré à l’éminent citoyen Laszlo Ratesic, et que par conséquent, tout est vrai. Le lecteur s’étonne, mais découvre bien vite au fil de la lecture que ce que le Golden State appelle un « roman » n’est en réalité qu’une biographie ou un ouvrage à la précision historique, sans rien à voir avec la fiction telle qu’on la connaît, elle-même étant évidemment prohibée. Imaginez la pauvreté de votre bibliothèque si la vérité devait être élevée au rang de principe absolu. Ça fait un peu froid dans le dos… comme bien des dérives dénoncées par cette fiction très intéressante.

Golden State, Ben H. Winters. ActuSF, 2021. Traduit par Eric Holstein.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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