FANTASTIQUE — V.E. Schwab est une autrice incontournable des rayons jeunesse et adulte (Shades of magic, Vicious), dont le succès n’est plus à confirmer. Elle nous livre avec La Vie d’Addie Larue un roman intime, sur l’histoire d’une femme acculée et pourtant indomptable.
1714. Adeline Larue est désespérée : comme trop souvent à l’époque, elle va être mariée de force, avec un veuf bien plus vieux qu’elle. Avide de liberté, Addie préfère s’enfuir et se retrouve presque malgré elle à sceller un pacte avec le diable, dont elle mesure mal la portée. Elle obtient le droit de vivre éternellement, mais en échange, personne ne pourra jamais plus se rappeler ni son nom ni son visage. La voilà condamnée à traverser les âges comme un fantôme, incapable de raconter son histoire, aussitôt effacée de la mémoire de tous ceux qui croisent sa route.
Ainsi commence une vie extraordinaire, faite de découvertes et d’aventures stupéfiantes, qui la mènent pendant plusieurs siècles de rencontres en rencontres, toujours éphémères, dans plusieurs pays d’Europe d’abord, puis dans le monde entier. Jusqu’au jour où elle pénètre dans une petite librairie à New York : et là, pour la première fois en trois cents ans, l’homme derrière le comptoir ne l’oublie pas. Quelle peut donc bien être la raison de ce miracle ? Est-ce un piège ou un incroyable coup de chance ? Comment est-il possible, dans ces conditions, de laisser son empreinte sur le monde ?
Si vendre son âme au diable en littérature est somme toute plutôt classique, le concept est ici bien plus original. Car Luc — notre démon qui collectionne les âmes — est plus que vicieux : s’il propose toujours un pacte aux plus désespérés, les termes du contrat sont par contre toujours désavantageux. Et il n’y a aucun retour en arrière possible. Oubliable … c’est bien cela la malédiction d’Addie. Sitôt les talons tournés, ses interlocuteurs oublient son existence : si c’est plutôt pratique pour vivre de petits larcins, c’est plutôt démoralisant quand il s’agit de nouer des relations, indispensables à l’épanouissement de tout un chacun. À travers le destin d’Addie, V.E. Schwab nous questionne en fait sur le prix de l’immortalité, la mémoire qui l’accompagne ou bien encore la création à travers les arts … Car c’est là le pied de nez d’Addie au destin : si elle ne peut raconter son histoire, elle espère au moins pouvoir inspirer ses contemporains !
Avec une narration en deux temps — d’un côté des chapitres chronologiques pour nous raconter 300 ans d’errance et de l’autre New-York en 2014, où la petite flamme de l’espoir d’Addie se rallume —, l’autrice nous donne l’opportunité de nous attacher à Addie. Car même si la jeune fille subit beaucoup son destin et les frasques de Luc, son désespoir et ses réflexions sont justes et émouvants. C’est que ce fameux démon lui donne du fil à retordre ! Luc ne se contente pas de lui voler son existence, il s’emploie également à la briser, pour qu’Adeline le supplie de prendre son âme. Mais celle-ci lutte pour sa liberté, avec une abnégation admirable. Jusqu’à sa rencontre avec Henry qui va tout bouleverser.
Il faut également souligner la beauté du livre en lui-même. La couverture très simple, sans texte, représente Addie elle-même, crayonnée dans des nuances de gris, le regard triste. Il y a également une jaquette qui recouvre le livre, imprimée dans un papier calque épais qui apporte un jeu de transparence et dépose un voile sur le visage de l’héroïne, à l’image de son histoire : jamais vraiment présente, qui ne peut laisser son empreinte. Très poétique et de toute beauté, bravo !
Malgré un rythme parfois un peu contemplatif, ce roman un poil mélancolique est original et divertissant et il permet à son lecteur de se poser des questions pertinentes l’air de rien. On conseille surtout ce roman aux adolescents et jeunes adultes, qui sauront sans aucun doute partager les interrogations d’Addie sur l’empreinte qu’ils peuvent laisser sur le monde et sur les êtres aimés. Un bon one-shot pour découvrir V.E. Schwab, ou pour au contraire retrouver cette plume qu’on apprécie tant !
La Vie invisible d’Addie Larue, de V.E. Schwab. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sarah Dali. Lumen, juin 2021.
Par Coralie.
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