Queue de poisson : vendetta conjugale sous le soleil de Floride !

Queue de poisson, Carl Hiaasen

FLORIDE — Ils sont américains, beaux et plutôt aisés, et ils fêtent leur deuxième anniversaire de mariage sur un magnifique paquebot de croisière. Quiconque verrait les Perrone vous le dirait tout net : ce couple-là est heureux, tout va bien pour eux, merci bien.

Ou pas. Car au coeur de la nuit, Chaz Perrone profite de l’obscurité pour bazarder son épouse Joey par-dessus bord. Hop, ni vu, ni connu : disparue, l’épouse. Chaz se recouche, et feint de découvrir la disparition de sa moitié le matin venu. Entre temps, sa femme est sans doute noyée, peut-être même mangée par les requins, introuvable dans tous les cas, morte assurément.

Ou pas. Joey Perrone, tenace, survit à sa chute et décide, plutôt que d’aller trouver la police, de se venger de son mari avec l’aide de son sauveur, un ancien flic à la retraite qui vit en ermite sur une île des Keys…

Car Hiaasen est connu pour être le maître du polar déjanté : c’est un auteur que l’on peut lire même si on n’aime pas trop les romans policiers, ce qui est mon cas. En fait, l’attrait majeur du roman, plus que l’aspect thriller, c’est la maîtrise de l’absurde et de l’humour caustique de l’auteur, ainsi que son talent pour croquer des personnages hauts en couleur. Explications.

La galerie de personnages dépeinte dans le roman est en effet à mourir de rire, à commencer par Chaz Perrone, espèce de loser magnifique même pas foutu de commettre un meurtre potable. L’homme est une espèce de coq suffisant, bouffé d’ambition, mais bête comme ses pieds. Quand il pense, c’est uniquement via le biais de son entrejambe. Inutile de dire que le lecteur prend beaucoup de plaisir à le voir s’embourber dans les ennuis après son pseudo crime parfait : de ses problèmes d’érection à sa paranoïa grandissante alimentée par son épouse pas si défunte que ça, on suit ses problèmes avec une jubilation grandissante. Le karma, mon ami, le karma !

Mais ce n’est pas tout : autre personnage qui attire l’attention que l’imprévisible Tool, garde du corps rétif du sieur Perrone. Grand, baraqué, plus poilu et à peine plus intelligent qu’un primate, l’homme porte bien son nom et est en principe un outil utile… Quand on sait ménager sa susceptibilité ! L’homme se trimballe une balle placée dans la raie des fesses (véridique !) et braque les maisons de retraite pour choper des patchs d’antidouleur. Il y fera une rencontre qui bousculera ses maigres certitudes. Une évolution joliment absurde, à l’image du personnage, qui mange des pizzas surgelées sans les décongeler, collectionne les croix du souvenirs et porte un regard étrangement pragmatique sur l’affaire Perrone. Probablement, et étonnamment, notre personnage préféré du récit !

Citons également Rolvaag, le flic en charge de l’affaire : mec du Midwest expatrié sous le soleil de Floride, qu’il déteste cordialement, Rolvaag espère que l’affaire Perrone sera sa dernière dans la région de Miami, avant un retour dans le Minnesota. Tenace, et doté d’un sacré pif, notre policier est aussi un amoureux des reptiles. Que se passerait-il si ses deux pythons domestiques venaient à s’enfuir ?

Bien sûr, on peut également évoquer Joey Perrone, la disparue qui, au lieu de s’apitoyer, décide de se venger de manière joliment imaginative de son cher et tendre époux. On dit que la vengeance est un plat qui se mange froid : chez Joey Perrone (pardon, Wheeler… on comprend bien qu’elle veuille reprendre son nom de jeune fille !), il se mange carrément surgelé ! Et c’est jouissif !

Au-delà du cast assez incroyable de personnages, et de la descente en enfer de Chaz Perrone, Queue de poisson est aussi une condamnation sans appel de la pollution qui empoisonne les Everglades, vaste région marécageuse emblématique de la Floride du sud, foyer d’une faune et d’une flore riches, mais dangereusement en péril. Chaz Perrone, « biostitué », contribue à cette destruction irréversible. Sa haine des lieux, de ses eaux stagnantes, de ses alligators voraces, de sa laîche omniprésente sourd des pages. Mais les Everglades n’ont pas dit leur dernier mot…

En bref : voilà un thriller absolument tordant, qu’on lit avec plaisir, comme tous les précédents romans de Carl Hiaasen (notamment Mauvais coucheur) que j’ai eu l’occasion de lire jusqu’ici.

Queue de poisson, Carl Hiaasen. 10/18, 2021. Traduit de l’anglais par Yves Sarda.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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