Un roman fleuve : Les Filles de l’ouragan

Les Filles de l’ouragan, Joyce Maynard

NEW HAMPSHIRE — Les Filles de l’ouragan pourrait se résumer aux destinées en miroir de deux jeunes filles, mais ce serait réducteur. Les Filles de l’ouragan est un grand roman américain, qui court des années 50 jusqu’à nos jours, embrassant ainsi un demi-siècle d’histoire américaine : les guerres (la deuxième guerre mondiale, mais surtout le Vietnam), les modes, la musique, Woodstock, sont ainsi évoqués, dans un portrait vibrant de l’Amérique d’autrefois. C’est également un roman rural, sur l’Amérique profonde, qui nous permet de découvrir le quotidien des paysans américains. En somme, Les Filles de l’ouragan est un roman aux récits multiples. Pourtant, il n’y a que deux voix qui s’expriment : celles de Dana et de Ruth.

Nées le 4 juillet 1950 dans une petite ville du New Hampshire, Ruth Plank et Dana Dickerson sont issues de familles très différentes. Ruth grandit dans une famille d’agriculteurs, les pieds solidement ancrés sur le sol, même si la jeune fille rêve d’art. Dana, elle, grandit chez les fantasques Dickerson, entre Val, artiste perdue dans son monde, et George, persuadé qu’il deviendra bientôt riche et célèbre, peu importe le moyen. Les deux familles sont amies, grâce à l’opiniâtreté de Connie Plank. Sœurs d’anniversaire, les jeunes Dana et Ruth n’ont pourtant rien en commun. Mais le destin ne cessera de les lier.

Chaque jeune héroïne a le droit à un chapitre, où elle s’exprime et nous dévoile son quotidien, sa vie, grâce à une narration à la première personne. Cela nous rend Dana et Ruth très proches et nous permet d’avoir les deux aspects de l’histoire. Les jeunes filles, dont les familles sont très liées lorsqu’elles sont petites, vont s’éloigner à l’âge adulte, et prendre des trajectoires complètement différentes jusqu’à la mort de leurs parents, qui va ouvrir la boîte de Pandore.

Car un secret lie les existences de Dana et de Ruth, un secret qui ne tient pas jusqu’à la fin du roman, et que le lecteur clairvoyant aura deviné avant. Mais alors que le suspense est éventé, ce qui pourrait détourner le lecteur du récit, le contraire se produit grâce à l’ironie dramatique : le lecteur sait désormais quelque chose que les héros ignorent, ce qui lui donne encore plus envie de lire la suite, afin de savoir si les personnages vont finir par apprendre la vérité.

Nous nous attachons à ces familles, dont nous pénétrons l’intimité. Nous découvrons la difficulté d’être agriculteur aux Etats-Unis à la fin du XXe siècle. La famille Plank possède leur ferme depuis plus de 300 ans : mais l’apparition des grandes surfaces, et l’importation de fruits et de légumes hors-saison va peu à peu grignoter les bénéfices de la famille. Problème universel que celui de la lutte entre le petit exploitant et de grandes structures… Edwin Plank, le père de Ruth, est un homme bon et extrêmement attachant. Figure solaire du roman, il lutte pour maintenir l’héritage de ses ancêtres.

Si la famille Plank est unie, ce n’est pas le cas des Dickerson. Val et George Dickerson semblent unis par défaut, et ne sont aucunement parents par vocation. Leur fils Ray et Dana grandissent au fil de leurs déplacements sur le continent et des combines du père, persuadé à chacune de ses idées qu’il touche du doigt célébrité et fortune. Dana devient une jeune fille raisonnable et économe, à l’opposé de ses parents. Grâce à ce personnage, Joyce Maynard évoque la difficulté d’être différent dans l’Amérique des années 60. Dana se découvre à l’adolescence attirée par les filles. Elle se sent très seule et incomprise. Plus tard, elle découvrira malheureusement la discrimination dont elle peut être victime… La trame du roman permet donc à Joyce Maynard d’évoquer des thèmes très différents mais tout aussi importants, du devenir des zones rurales à la question de l’homosexualité dans les années 60 à 90.

Les Filles de l’ouragan est donc un excellent roman, de ceux qui vous clouent sur place, incapables de le lâcher, un roman dont l’envie de connaître la fin devient de plus en plus pressante, et qui vous laisse songeur, incapable de lire quoi que ce soit d’autre tout de suite après.

Les Filles de l’ouragan, Joyce Maynard. 10/18, mai 2013. Traduit de l’anglais par Simone Arous.

De Joyce Maynard, nous avons aussi lu Les Règles d’usage.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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