ESSAI — Dina Nayeri est née en Iran l’année de la révolution, en 1979. Ses parents, médecins de formation et issus des classes aisées de Téhéran, ont connu la bascule vers une dictature répressive. L’enfance de Dina n’est pourtant pas monstrueuse : elle garde de jolis souvenirs de sa vie d’enfant choyée. Quand elle a eu huit ans, sa mère, convertie récemment au christianisme, a décidé de fuir le pays : commence alors un long parcours pour obtenir l’asile. Deux ans plus tard, au terme de plusieurs déracinements, Dina s’installe aux États-Unis avec son frère et sa mère. Faiseurs d’histoires raconte cette enfance écartelée entre deux cultures, mais se penche également sur les répercussions de cet exil forcé à l’âge adulte, et entrelace au récit de Dina l’histoire d’autres réfugiés rencontrés par Dina Nayeri.
Entre autofiction, enquête au long cours et essai sur le processus migratoire, le récit de Dina Nayeri est d’une grande richesse, apportant au lecteur de nombreuses pistes de réflexion. On y parle traumatisme, identité, immigration, choc culturel et bureaucratie inhumaine : comment se construit-on quand on doit renier la culture de son enfance, quand on doit tirer un trait définitif sur son passé, quand on doit sans cesse raconter sans histoire en espérant désespérément être cru ? Imaginez un peu ce que c’est que de sans cesse s’en remettre à des inconnus, vivre de la charité, dépendre de leur bon vouloir pour ne pas être renvoyé dans un pays où vous risquez la mort… Dina Nayeri explore l’ensemble du processus de demande d’asile, en s’attardant particulièrement sur les Pays-Bas, le Royaume-Uni et les États-Unis : elle montre ô combien le processus peut être déshumanisant, peut conduire certains aux confins de la folie, ou du suicide. Même si on parvient à obtenir le précieux sésame, le parcours laisse des traces profondes dans la psyché de ceux qui le vivent. Fine psychologue, Dina Nayeri se pose dans la position de l’observatrice qui a pu mettre de la distance (son propre exode datant d’il y a plusieurs décennies, elle est reconnue comme tous comme « parfaitement occidentalisée »), tout en étant parfaitement capable de faire appel à ses propres souvenirs et sensations : il lui suffit de peu pour convoquer la mémoire de cette petite fille iranienne en chemin pour les States.
Profondément intéressant, et extrêmement touchant (les histoires retranscrites par l’autrice sont toutes terribles à leur manière), Faiseurs d’Histoires est une lecture nécessaire, un plaidoyer pour davantage d’humanité, ainsi qu’une remise à plat de tout le processus migratoire aux yeux du profane, qui en découvre alors toute l’horreur. Chacun devrait lire ce récit, qui redonne aux réfugiés la dignité que le processus de demande d’asile met à mal.
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