La Cité du futur : pour vos prochaines vacances, songez au XIXe siècle !

La Cité du futur, Robert Charles Wilson, Denoël

SCIENCE-FICTION — Et si le tourisme ultime, c’était, non pas le voyage dans l’espace, mais carrément le voyage dans le temps ? Grâce au « Miroir », une sorte de passerelle entre le présent et le passé, les riches touristes du XXIe peuvent venir visiter 1876, découvrir les grandes plaines sauvages, le New York d’antan et le San Francisco de jadis, les robes à tournure, les bisons et les vétérans de la guerre de Sécession. Quant aux riches habitants de 1876, ils peuvent s’enivrer de technologie, de science-fiction presque, en visitant les deux tours jumelles de Futurity, érigées dans l’immensité de l’Illinois. À Futurity, les « locaux » découvrent de nombreuses merveilles, des ascenseurs aux hélicoptères, en passant par les voitures ou le cinéma… Bien sûr, on ne les laisse jamais passer le Miroir et découvrir véritablement le XXIe, de même qu’on veille bien à ne pas leur donner trop d’informations sur le futur… Il ne faudrait pas, non plus, trop les influencer en leur parlant des guerres mondiales à venir, de la mondialisation ou de la montée de terrorisme. C’est d’ailleurs pour cette raison que Futurity, cette attraction entre deux époques, fermera ses portes au bout de cinq ans d’exploitation, en 1877. Ainsi, cette version du « passé » ne sera pas trop corrompue par les visiteurs du futur.

Jesse Cullum est né à la Nouvelle-Orléans, puis a grandi dans un bordel de San Francisco. Depuis maintenant quatre ans, il travaille à Futurity comme agent de sécurité. Il fait plutôt bien son travail, mais ne brille pas forcément parmi ses pairs… jusqu’au jour où il sauve la vie du président Grant, visé par un attentat. Il attire alors l’attention de sa direction, qui lui confie une enquête, qu’il doit mener aux côtés d’Elizabeth DePaul, une femme du XXIe siècle. Une drôle d’association, comme vous pouvez l’imaginer !

La Cité du futur, Robert Charles Wilson, Denoël

Robert Charles Wilson nous propose un chouette roman de science-fiction qui tutoie l’enquête policière, dont l’intérêt principal repose probablement sur ce contraste permanent entre le XIXe siècle et le nôtre. Quel regard porteraient les Américains de 1876 face à nos lubies, nos moeurs et notre technologie ? Et comment nous jugerions le mode de vie (dépassé ? archaïque ? arriéré ? ou bien charmant et authentique ?) des habitants du XIXe siècle ? Robert Charles Wilson donne quelques éléments de réponse : les « locaux » s’étonnent de l’étrange façon de vivre des visiteurs (Les femmes y sont aussi libres que les hommes ! Toutes les ethnies sont représentés au sein des groupes de touristes ! Et, tenez-vous bien, dans le futur, des couples de même sexe peuvent se marier !), sans même parler de leurs gadgets bizarres (comme ce petit appareil qui permet à la fois de communiquer à longue distance et de prendre des photographies étonnamment nettes). Le plus savoureux, ce sont probablement les petites choses so 2017 que laisse échapper Elizabeth, comme « je l’ai lu sur Wikipedia », « j’aurais dû le googler »… Ce genre de choses qui fait tellement partie de notre quotidien, mais qui est tout bonnement incompréhensible pour Jesse, né au XIXe siècle ! Jesse est pourtant relativement habitué à la modernité. Cela fait quatre ans qu’il vit dans la Cité : il s’est habitué à l’électricité, à la climatisation, à prendre son café chez Starbucks, et son hamburger chez McDonald’s…

Cette idée de tourisme temporel est très intéressant, car outre de jolis quiproquos et quelques situations comiques, elle entraîne de nombreux problèmes éthiques. Ainsi, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il est éthiquement douteux d’influencer l’Amérique de 1876. Mais n’est-ce pas immoral de laisser le XIXe se débrouiller tout seul, quand on pourrait empêcher de nombreuses morts en leur faisant par exemple quelques révélations médicales ? Niveau immoralité, Kemp, le directeur de Futurity, en tient une bonne couche : il est prêt à tout pour se faire de l’argent, et faire du buzz, comme imaginer un débat entre Edison et un scientifique du XXIe siècle, quitte à « spoiler » un poil Edison sur ses découvertes futures…

Autre effet problématique de la présence des tours de Futurity, la contrebande n’a pas tardé à se développer. On s’arrache des objets insignifiants oubliés par les touristes du XXIe, comme un exemplaire de Shining ou un iPhone. Mais imaginez ce que cela peut donner quand des armes modernes entrent dans la danse… C’est là que l’enquête de Jesse et d’Elizabeth entre en jeu : l’arme de l’homme qui a tenté d’assassiner le président Grant est rigoureusement moderne, elle a donc été importée illégalement. Et ce n’est pas la seule… À nos deux personnages de remonter la trace de ce trafic. L’enquête, plutôt tranquille, se déroule sans grandes surprises, et sans véritable suspense. Tout s’accélère cependant à la fin du roman, quand la mission de Jesse se télescope avec son passé…

Voilà donc un roman assez chouette, qui joue de manière originale avec le concept de voyage dans le temps. L’aspect « enquête » du récit déçoit un peu, mais on est ravi par la confrontation perpétuelle entre passé et futur. L’association entre Jesse, l’agent de sécurité de 1876 et Elizabeth, l’ex-soldate du XXIe siècle, fonctionne plutôt bien, même si, sans surprise, Robert Charles Wilson est tombé dans l’écueil d’une romance légère mais convenue qui n’apporte pas grand chose à l’intrigue… De l’auteur, on aura préféré l’excellent Julian, mais on n’a pas pour autant boudé notre plaisir face à ce nouveau roman, qui se lit avec grand plaisir.

La Cité du futur, Robert Charles Wilson. Denoël, 2017. Traduit de l’anglais par Henry-Luc Planchat.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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