Black Girl : le côte obscur de l’édition américaine…

Black Girl, Zakiya Dalila Harris

ROMAN AMÉRICAIN — L’édition new-yorkaise, le Saint Graal pour qui veut travailler dans le milieu du livre ? Oui et non. Dans ce premier roman signé d’une authentique assistante éditoriale new-yorkaise, afro-américaine comme son héroïne, Zakiya Dalila Harris dépeint le manque cruel de diversité dans l’édition américaine.

Nella Rogers est une jeune assistante édition brillante et travailleuse, passionnée par ce qu’elle fait et qui ne compte pas ses heures. C’est également la seule jeune femme noire de l’équipe, un fait qu’elle ressent durement, entre le racisme inconscient de ses collègues et la nécessité de présenter au monde un visage lisse et policé, sans revendications. Elle doit, en permanence, se fondre dans la masse mais n’en pense pas moins…

Un jour, une nouvelle jeune femme est recrutée au sein du pôle éditorial. Elle s’appelle Hazel-May, est noire, assurée, élégante et sympa. Nella a des étoiles dans les yeux : enfin, elle n’est plus la seule personne racisée de l’équipe ! Mais bientôt, un malaise s’installe, avant que Nella ne se mette à recevoir des mots de menace, la poussant à démissionner… Que se passe-t-il vraiment aux éditions Wagner ?

Voilà un roman qui pousse à une intense réflexion, sur le manque de diversité du monde qui nous entoure et le racisme latent quotidien dont nous n’avons même pas conscience. Le personnage de Nella est formidablement bien construit : l’autrice montre à merveille la sensation de tiraillement que ressent l’héroïne, son immense solitude, son insatisfaction, son ressentiment, sa sensation d’être bâillonnée au quotidien. En témoigne le cas « Shartricia », un personnage de roman ô combien raciste présent dans le nouveau roman d’un des auteurs-phares du catalogue Wagner : là où l’avis de Nella aurait dû faire office de « sensitivity read« , on trouve plutôt la jeune femme insultante… Au final, c’est elle qui doit présenter des excuses !

Le racisme latent est subtil, mais bien présent. Nella est clairement intelligente, cultivée, travailleuse, mais sa cheffe est prompte à la juger trop virulente, allant jusqu’à lui balancer une pique plus agressive que passive, lui assénant qu’elle passe plus de temps à revendiquer qu’à travailler (ce qui, vu les nombreuses heures sup’ faites par Nella, est tout simplement scandaleux). À côté de ça, le milieu de l’édition américaine ne fait pas franchement rêver : ok, il y a une mutuelle correcte, mais le salaire est indécent, et la stagnation en attente d’un poste plus intéressant réelle. L’autrice souligne avec ironie que pour espérer grimper les échelons, il faut un décès ou un départ à la retraite (tous les éditeurs seniors sont là depuis des décennies !). Nella, quant à elle, précise qu’heureusement, son boulot lui permet d’obtenir une réduction sur son abonnement à Publishers Weekly, le Livres Hebdo outre-Atlantique. Ouf, heureusement ! La satire du milieu de l’édition est réelle, et exacerbée par le manque de diversité flagrant.

Puis arrive Hazel-May, l’autre fille noire. Le lecteur sent bien vite une certaine tension s’installer. Nella est ravie de cette embauche et en même temps… Hazel la met mal à l’aise. Tout d’abord, trop de questions. Trop de familiarité. Puis, lors d’une réunion marketing, la trahison… Quand Nella commence à recevoir des mots de menace, elle ne tarde pas à envisager sérieusement Hazel, plutôt que Sophie, par exemple, la collègue blanche pas très fute fute, qui commet impairs racistes sur impairs… Le roman se pare alors d’accents de thriller. Nella est-elle en danger ? Risque-t-elle de subir une agression physique ? Qui veut la voir partir ? Et pourquoi ? Si le motif du racisme est évoqué tout de suite par la meilleure amie de Nella (ce que Nella réfute, puisque, selon elle, il n’y a pas le « mot en n »), Nella elle-même doute.

La fin du roman est déstabilisante. Le lecteur termine les dernières pages et se précipite pour tout relire, car il a le sentiment d’être passé à côté de quelque chose. On ne s’attendait pas vraiment à ce que le récit nous entraîne sur ce chemin, mais la conclusion est relativement satisfaisante (bien qu’assez odieuse). Lisez ce roman pour vous faire une idée !

Black Girl, Zakiya Dalila Harris. Calmann-Lévy, 2022. Traduit de l’anglais par Maureen Douabou.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.