POST-APO — Il y a des choses qu’on tient pour acquis : le fait d’avoir une ombre, par exemple. Mais dans le monde imaginé par Peng Shepherd, perdre son ombre n’a rien d’impossible. Et quand on perd son ombre, ce sont les souvenirs qui suivent peu de temps après.
Les souvenirs. Qu’il s’agisse de détails biographiques, des noms, de son identité… ou même des fonctions biologiques les plus élémentaires, tout finit par s’en aller pour ne laisser qu’une coquille vide, jusqu’à la mort. Perdre sa mémoire, c’est perdre son identité. Pourtant, quand le premier homme a perdu son ombre, personne ne s’est méfié. Le monde avait les yeux rivés sur ce « miracle » quand l’homme en question a commencé à oublier qui il était. Rapidement, de nombreux individus, partout sur la planète, ont perdu ombre et mémoire. La civilisation telle qu’on la connaît aujourd’hui s’est effondrée. C’est donc une ambiance de fin du monde, pas très éloignée de celle des apocalypses zombies, qui règne dans ce roman : les « sans-ombres » peuvent devenir agressifs, incohérents, violents… et cannibales parfois. Dans ce nouveau monde, plus d’électricité ou d’eau courante, plus de gouvernement, une faim et un danger permanents… À cela s’ajoutent les étranges modifications de la réalité provoqués par les souvenirs erronés des sans-ombres…
Roman post-apocalyptique de bonne facture, Le livre de M décrit une Amérique au crépuscule de son existence, un monde complètement transformé et, au-delà, le destin d’individus comme vous et moi pris dans la spirale d’une catastrophe comme la Terre n’en a jamais vue. Dans cette nouvelle configuration, les familles éclatent, les époux s’oublient, les enfants et les parents peuvent ne plus se reconnaître. La notion de deuil est omniprésente : ceux qui oublient sont des morts en sursis. Un proche est-il toujours là, s’il ne se souvient plus qui vous êtes ? Sa personnalité n’est-elle pas morte en même temps que ses souvenirs ? Difficile de ne pas songer aux malades d’Alzheimer et à la difficulté pour leurs proches d’admettre qu’un être aimé peut ne plus se souvenir de vous.
Au milieu de ce maelström impitoyable surnage la question de l’art salvateur : la littérature ou la peinture comme rempart ultime contre l’oubli, pour graver les souvenirs avant qu’ils ne s’envolent.
Un roman passionnant et globalement rude, avec un début très prenant et une fin étonnante (et, quelques longueurs au milieu, nous devons l’admettre).
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