SCIENCE-FICTION — Amal El Mohtar est une poétesse, essayiste et romancière canadienne de science-fiction et de fantasy ; Max Gladstone, lui, est nouvelliste et romancier américain de science-fiction et de fantasy. A quatre mains, ils ont écrit Les oiseaux du temps, un récit de science-fiction récompensé à très juste titre des prix Hugo et Nebula !
Bleu travaille pour le Jardin, Rouge pour l’Agence. Toutes deux sont agentes de terrain, combattantes ennemies d’une étrange guerre temporelle, où elles sont chargées de lier entre elles des trames, tout en défaisant les liens créés par l’ennemie. Une petite routine bien rodée, jusqu’au jour où Bleu laisse à l’attention de Rouge une lettre. Une lettre qui touche Rouge et à laquelle elle répond. Ces lettres, lisibles une seule fois, deviennent peu à peu le refuge de leurs doutes et de leurs rêves. Un amour fragile et dangereux naîtra de leurs échanges. Il leur faudra le préserver envers et contre tout.
Les Oiseaux du temps repose sur un système narratif assez complexe et parfaitement adapté au terrain : le premier chapitre suit une protagoniste et l’on assiste à son champ de bataille du moment, et à la façon dont elle découvre la lettre qui lui est destinée. Laquelle nous est ensuite livrée dans son intégralité. Puis on passe à la seconde belligérante, qui cherche et découvre à son tour son courrier, que l’on peut lire dans le chapitre suivant. Et ainsi de suite. On découvre alors d’abord la réaction de la lectrice puis le contenu de la lettre, un système très audacieux et finement mené !
Il faut ajouter à cela l’originalité de la démarche puisque la lettre est à usage unique, ne doit pas ressembler à ce qu’elle est, et ne doit pouvoir être lue que par sa destinataire : on assiste donc à une succession de moyens tous plus loufoques, techniques et improbables les uns que les autres, dont certains confinent à la magie, du moins de notre point de vue du XXIe siècle (et dont on ne révélera rien ici, car la découverte est importante).
Il résulte de cette construction un effet de sauts dans le temps, car les différents épisodes sont séparés d’ellipses dont on ne peut mesurer la durée ni la portée. Cela donne un aspect un peu déroutant au texte, dans les premiers chapitres, puis le tout gagne en fluidité et la cohérence générale apparaît, laissant toute latitude aux lecteurs de jouer à chercher les références à l’une ou l’autre des protagonistes dans les parties qui narrent leurs aventures. Cet effet elliptique se retrouve aussi dans les enjeux du récit : certes, il y a une guerre temporelle en cours, mais on n’en sait guère plus et ses enjeux ne sont pas nécessairement très détaillés (on en vient à se demander si les protagonistes les saisissent eux-mêmes. Au fil des lettres, ce sont plutôt des aspects des cultures et des valeurs de chaque camp qui se dessinent, en filigrane et c’est bien suffisant, car ce petit côté flou artistique convient parfaitement à l’ambiance générale et à la poésie qui se dégagent des textes.
Car oui, le style fait partie intégrante de cette incroyable expérience de lecture : assez exigeant, il est volontiers poétique ou métaphorique, et incite à se laisser porter par l’histoire et la langue pour profiter de ce super voyage temporel et amoureux aux accents d’interdit.
Les Oiseaux du Temps est une lecture particulièrement marquante, portée par une construction et un style aussi originaux que maîtrisés. Ce petit ovni de poésie et de beauté propose un récit science-fictif parfaitement mené, centré sur l’amour interdit qui se noue lentement entre deux belligérantes. Sublime !
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