L’opéra macabre

Les amateurs de vampires, de vrais, sont en deuil depuis qu’Anne Rice a cessé d’écrire sur ces créatures de la nuit. C’est d’ailleurs la reine du genre qui a donné envie à Jeanne Faivre d’Arcier d’écrire sur les vampires. Initialement parus dans les années 90, Rouge flamenco et La Déesse écarlate sont aujourd’hui réunis en un omnibus, paru en juillet aux éditions Bragelonne. La Nouvelle Orléans étant pour beaucoup la capitale des vampires, Café Powell s’est penché sur cette auteur que beaucoup surnomment « la Anne Rice française ». Et bien qu’aucun des héros de cet omnibus n’arpente la Louisiane, il nous a semblé judicieux de consacrer à cet auteur un plein article.

Deux reines de la nuit hantent L’Opéra macabre : là où Anne Rice a dépeint des hommes, à la sensualité uniquement liée au sang, Jeanne Faivre d’Arcier a préféré mettre en scène des femmes, à la sexualité très marquée. Comme l’annonce d’emblée la quatrième de couverture, « On a beau être vampire, on n’en est pas moins femme. » Elles sont deux donc : Carmilla, la danseuse de flamenco, rescapée des bordels d’Alger, et Mâra, son amie et amante, courtisane indienne de haut vol, plus vieille que le Christ. Amateur de bit-lit, passez votre chemin : nos deux vampires jouent dans une toute autre catégorie. Elles ne brillent pas au soleil, et ne se perdent pas en considérations frivoles. Elles tuent, et vivent dans un monde où la mort, le sang, les cadavres sont omniprésents.Sous la lune, les deux femmes incarnent la mort, une mort qui fond sur vous sans vous laisser la moindre chance. Leurs passions sont violentes, et non d’égales que leurs vengeances. Le bien et le mal n’ont plus cours : dans le monde de Carmilla et de Mâra, seule compte la quête du pouvoir et du plaisir. En somme, L’Opéra macabre, ce n’est pas pour les chochottes.

Dans Rouge flamenco, nous découvrons Carmilla, une immortelle qui virevolte sur les scènes parisiennes. Son histoire a commencé au siècle passé, quand son père est parti au bagne. Conteuse hors-pair, Jeanne Faivre d’Arcier nous narre le récit de la vie humaine, puis immortelle de Carmilla avec beaucoup de talent, d’une manière qui n’est pas sans rappeler Le Sang et l’or d’Anne Rice. Transformée en vampire par un goujat qui la laisse pour morte dans un charnier, sans lui donner aucune clef pour sa survie future, Carmilla, au nom prédestiné, n’aura de cesse de retrouver son créateur pour se venger. Lorsque nous découvrons Carmilla à la fin du XXe siècle, elle s’est lancée dans une quête qui touche tous les immortels : un substitut au sang humain qui permettrait aux vampires de ne plus occire les humains…

Dans La Déesse écarlate, le lecteur s’immerge en Inde, à la culture millénaire et aux dieux très présents, grâce au personnage de Mâra, découvert dans Rouge Flamenco. Mâra est trois fois millénaire mais est en deuil depuis deux siècles. La vampire, mère de tous les immortels d’Inde, a été la maîtresse d’empereurs et la terreur des Anglais, mais se retrouva bien dépourvue face à un tout jeune garçon, avec qui elle noua une relation contrariée et non consommée. Victime de la jalousie d’un autre vampire, Mâra a dû s’exiler quand son jeune amour, Kim, a été tué.

Deux cents ans plus tard, Jonathan (encore un prénom prédestiné !), jeune Français d’origine indienne, part sur les routes indiennes pour délivrer une de ses amies, victime d’une secte étrange. Le jeune homme a été adopté vingt-cinq ans plus tôt et sa naissance est entourée de mystère. De plus, Jonathan est hanté par une vie antérieure, dans laquelle apparaît une femme d’une grande beauté, prénommée Mâra…

Si ces deux romans possèdent la puissance et le souffle épique qui ont fait le succès d’Anne Rice, de nombreuses longueurs plombent le récit, faisant de cet omnibus un récit très inégal. Le style extrêmement maîtrisé de Jeanne Faivre d’Arcier parvient à nous plonger dans des temps et des lieux à la mystique très forte : l’Alger du XIXe siècle apparaît des plus réels et fascine le lecteur. Et que dire de la peinture que le récit fait de l’Inde, ce pays à l’histoire et à la culture si complexes ? Jeanne Faivre d’Arcier n’hésite pas à recycler le panthéon indien, ancrant ses créatures de la nuit dans une mythologie déjà existante, donnant une véritable puissance à son récit. Il aurait été facile de réutiliser les pistes déjà balisées par d’autres, comme l’Europe ou la Louisiane : mais Jeanne Faivre d’Arcier a préféré innover, pour notre plus grand plaisir. Elle a su donner une véritable consistance au harem des empereurs indiens et aux bordels algériens. Le sang et le sexe se mêlent dans un récit cohérent, mais qui perd parfois le lecteur dans ses méandres. Plus aucune inhibition ne retient ces créatures de la nuit qui s’aiment et se haïssent sous la lune. Récit au souffle épique, véritable fresque flamboyante, L’Opéra macabre revisite un mythe vu et revu en lui apportant une grande fraîcheur. N’eût été le rythme parfois trop lent de l’intrigue, L’Opéra macabre aurait pu sans nul doute rivaliser avec les œuvres de la maitresse du genre…

L’Opéra macabre, Jeanne Faivre d’Arcier. Bragelonne, 2013.

Par Emily Vaquié

A propos Kévin Costecalde 353 Articles
Passionné par la photographie et les médias, Kévin est chef de projet communication. En 2012, il a lancé le blog La Minute de Com, une excellente occasion selon lui d'étudier les réseaux sociaux et l'actualité. Curieux et touche-à-tout, Kévin aime les challenges, les voyages et l'ironie.

1 Commentaire

  1. Inégal est le moins qu’on puisse dire, je me suis souvent ennuyée dans ce récit qui manque de cohérence et de construction pour être vraiment prenant. C’est dommage car il y a beaucoup d’excellentes idées dans cette œuvre.
    N’ayant que très peu lu Anne Rice, je ne ferai pas la comparaison mais j’ai plutôt trouvé que cela manquait de souffle et d’émotions.

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