ESSAI — Après les psychopathes, Jon Ronson a tourné son regard de journaliste vers quelque chose d’un peu plus universel : la honte. Plus précisément, le phénomène de public shaming sur la toile, Twitter en tête. Il suffit parfois de pas grand chose pour vous attirer une horde de twittos déchaînés sur le dos : un trait d’humour maladroit, ou naïf, la resucée d’une sortie d’un confrère… tout cela peut vous attirer sous le radar de ce qu’on doit bien envisager comme des justiciers du web. À raison ? Jon Ronson se penche sur le phénomène.
Et si c’est un poil moins fascinant que son portrait en profondeur de la psychopathologie, force est de constater que Jon Ronson parvient toujours à trouver les mots pour rendre son propos intéressant. Il explique comment lui vient l’idée de son enquête et comment, au fil des rencontres, il suit le fil de celle-ci jusqu’au dénouement. Dans ce livre, il va ainsi à la rencontre de gens publiquement humiliés sur les réseaux sociaux : comment l’ont-ils vécu ? Comment ont-ils rebondi ? Il interroge aussi bien sûr les gens qui ont lancé cette vendetta online. Pourquoi ? Quelle leçon en tirent-ils après coup ? Regrettent-ils ?
Difficile, à la lecture de cet essai, de ne pas réfléchir à notre propre consommation de réseaux sociaux. Peut-être même envisagerez-vous de quitter Twitter pour un temps, ce réseau social qui peut sembler si douillet quand tout va bien et si odieux dès lors que vous êtes pris pour cible… on sort de cette lecture avec la sensation qu’il faut mettre en garde nos enfants sur les usages des réseaux sociaux : on n’y écrit pas n’importe quoi, tout est public, et rien ne s’efface vraiment (mais si vous y mettez le prix, des professionnels peuvent le dissimuler sous le tapis). Et une fois qu’on a compris ça, tout ira bien ? Pas forcément. Car ce qui nous semblait tout à fait acceptable, drôle ou innocent peut être perçu différemment par le reste des internautes…
Mais pourquoi ceux-là s’érigent-ils en censeurs, en justiciers ? Jon Ronson l’explique très bien : le web donne une voix à la majorité silencieuse, celle qui n’arrive pas à s’exprimer dans la vraie vie. Chacun a un poids sur la toile. Ivres de ce pouvoir, certains en profitent pour juger leurs camarades. À plusieurs, ils gagnent une importance qu’on ne leur accorde pas hors d’Internet… combien de fois avons-nous pensé, mécontent d’une marque, « je vais la pourrir sur la toile ! » ? C’est ce phénomène qui intéresse aussi Jon Ronson et, par son intermédiaire, le lecteur.
Un livre donc très actuel, mais qui sera probablement vite dépassé, tant les choies évoluent vite dans le domaine des réseaux sociaux. Peut-être que Jon Ronson devrait se pencher dans un nouveau livre aux dramas qui secouent fréquemment la blogosphère littéraire… nul doute qu’il trouverait beaucoup de choses à en dire.
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