180 jours. Cela correspond à six mois, à une demi-année. Et c’est le temps qui sépare un porc de la naissance, à l’abattoir. L’élevage industriel de porcs, drôle de sujet pour un roman, n’est-ce-pas ? Et pourtant, il serait vraiment dommage de passer à côté du roman d’Isabelle Sorente, 180 jours. Bien-sûr, après l’avoir lu, vous ne regarderez plus votre barquette de jambon comme avant.
Martin a une petite vie bien rangée : il vit à Paris avec sa compagne Elsa, journaliste, et enseigne la philosophie. Un jour, alors qu’il dîne avec son supérieur et la fille de celui-ci, la conversation bascule. L’adolescente a des mots durs, jette la cause animale sur la table du dîner. Cela fait réfléchir les adultes. De fil en aiguille, Martin se retrouve en chemin pour La Source, où il a rendez-vous pour visiter un élevage industriel, pour une enquête de terrain, afin de programmer une série de cours sur l’animal. La découverte de ces sept bâtiments, où l’on garde enfermés, sous une lumière artificielle 15 000 « paquets de viande sur pattes », va profondément bouleverser le jeune homme. Alors qu’il observe des truies mettre bas, Martin va croiser le regard d’une truie au regard très humain et va assister à la naissance d’un porcelet boiteux, avec qui il va se sentir lié. Martin ne sera plus jamais le même. Le lecteur non plus.
Sans concession, Isabelle Sorente nous plonge dans l’univers de la porcherie industrielle, ne nous épargnant rien, expliquant avec une minutie toute scientifique comment les porcs sont conçus (de manière froide et artificielle), et comment tout est fait pour les faire parvenir en excellente santé, et le plus gros possible à l’étape ultime : le départ en camion vers « l’outil » qui les transformera en tranches de jambons, boudins et chair à saucisse. Martin est très vite frappé par l’aspect inhumain et mécanisé du processus. Du bâtiment A (conception) au bâtiment G (embarquement), tout est soigneusement planifié, de manière implacable, sans aucun état d’âme.
Le porc est-il encore considéré comme un être vivant ? Est-il juste un objet ? Qu’est-ce qui différencie le porc, de l’homme ? Au fur et à mesure que le récit s’installe, la barrière entre les deux se brouille : alors que le porcelet boiteux pense et s’humanise, dans sa cage, Martin, lui, devient Carpaccio aux yeux de Camelia, le porcher avec qui il se lie d’amitié. Camelia est une des pièces pivot de l’entreprise mais son travail l’épuise et le mine moralement. Charismatique et séduisant, mais aussi terriblement sensible, à fleur de peau, le jeune homme reconnaît en Martin un ami dès les premières minutes. Les deux hommes évoluent en miroir, et remettent en cause les fondements de leur vie : travail, relations, personnalité…Quand Martin arpente l’élevage, le souvenir des brimades qu’il a subi à l’adolescence resurgissent : alors qu’il s’investit de plus en plus dans son amitié avec Camelia, le jeune homme parvient enfin à s’affirmer et à laisser parler une colère longtemps couvée.
Le sujet, on l’aura compris, n’est pas facile : mais l’écriture d’Isabelle Sorente, précise, dynamique, rythme le récit et rend le roman difficile à lâcher. Horrifié, on plonge de plus en plus profondément dans le secret des élevages industriels et de la rentabilité alimentaire. Plus qu’un roman, et une simple distraction, le livre d’Isabelle Sorente fait réfléchir. C’est une vraie claque, et probablement un des romans incontournables de cette rentrée littéraire.
180 jours, Isabelle Sorente. JC Lattès, 2013. Rentrée littéraire 2013.
Par Emily Vaquié
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