THRILLER — Mais où sont passées mes lunettes ? Mais qu’est ce que j’ai bien pu faire des clefs de la voiture ? On est allé en Écosse ou en Irlande l’année dernière déjà ? Bref, si vous aussi vous avez la mémoire qui flanche (comme tout le monde !) et que vous aimez les thrillers, Aux portes de la mémoire est peut-être un livre pour vous !
Claire Evans vit dans un monde où l’on ne juge pas les gens selon leurs revenus ou leur religion, mais selon la quantité d’informations qu’ils peuvent retenir. Car la mémoire à long terme est devenue une utopie — ou une dystopie, c’est selon le point de vue. Au moment du passage à l’âge adulte, tous les individus découvrent à quelle catégorie ils appartiennent, pour le meilleur et pour le pire. Il y a les Monos, qui comme Claire, ne se souviennent que des 24 dernières heures. Les Duos sont quant à eux plus chanceux (et socialement plus élevés) puisqu’ils se souviennent de deux jours complets ! Tous les soirs, chacun consigne les faits marquants de sa journée dans son journal intime électronique au risque sinon de tout oublier. Malgré la discrimination dont les Monos font l’objet, Claire a épousé Mark, un auteur à succès reconnu et Duo de son état. Alors le jour où un policier vient annoncer à Claire que la maîtresse de son mari a été assassinée deux jours plus tôt, c’est le trou noir. Que s’est-il réellement passé ? Quand les suspects et les enquêteurs voient leur mémoire constamment effacée, comment découvrir la vérité ?
Un thriller qui s’ouvre avec le meurtre déguisé en suicide d’une très jolie femme au fond de la campagne anglaise, d’aucuns auraient pu trouver cela classique. Mais c’était sans compter sur le fait que les personnages oublient littéralement tout ce qui s’est passé 24 à 48h avant. Malgré eux ou à dessein d’ailleurs : car finalement, les personnages ont le choix de vivre ou non dans le déni et d’assumer ou pas leurs actes. Deux jours, grand maximum, à se sentir coupable, ce n’est pas la mer à boire. Dans ce contexte, difficile de se faire confiance et de croire ce que l’on note dans son journal intime électronique / mémoire externe. Et c’est ce qui amène toute la saveur au récit !
Le challenge est encore plus grand pour l’inspecteur en charge de l’affaire : son but étant de boucler l’affaire avant que sa mémoire se réinitialise. Car enquêter à partir d’une liste de souvenirs non exhaustive, ce n’est vraiment pas l’idéal. D’autant plus qu’il est fort probable que l’assassin ne prenne pas la peine de consigner le meurtre dans son journal et risque donc lui-même de l’oublier. Commence alors une course contre la montre pour démêler le vrai du faux.
Malheureusement, ce thriller manque peut-être un peu de subtilité. De prime abord, les personnages sont assez caricaturaux : femme au foyer éplorée, voisine séduisante et séductrice, inspecteur dévoué corps et âme à son travail … L’autrice cherche néanmoins à casser les codes et propose de multiples rebondissements qui donnent un éclairage nouveau aux protagonistes. Mais cela est fait de manière tellement systématique que le stratagème perd largement de sa fraîcheur et de son dynamisme. Dommage !
On observe aussi quelques incohérences et des zones d’ombre avec le thème des souvenirs qui disparaissent. C’est d’autant plus regrettable que le sujet aurait mérité d’être plus fouillé tellement il aurait pu être intéressant. Cela soulève en effet de vraies questions sur le rôle non négligeable de la mémoire à l’échelle de la société : avec elle, ce sont toutes les notions de responsabilité, de vengeance ou bien encore de pardon qui prennent tout leur sens. D’un point de vue plus scientifique, on s’interroge également sur ce qui fait le souvenir et ce qui l’ancre dans la mémoire à long terme.
Malgré ces quelques bémols, Aux portes de la mémoire reste une lecture agréable qui sait entretenir le suspens et qui pose plein de questions intéressantes et pas si classiques que cela. Si vous voulez vous aussi découvrir si toutes les vérités sont toujours bonnes à garder, une seule solution : lisez-le !
Aux portes de la mémoire, Felicia Yap. Harper Collins Poche, février 2019. Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Thibaud Eliroff.
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