Née en 1980, sociologue de formation, Maria Pourchet a également travaillé dans le domaine du journalisme. Avancer, publié aux éditions Gallimard à la rentrée littéraire 2012 est son tout premier roman : il narre l’histoire de Marie-Laure, originaire d’Epinal tout comme l’auteur, qui se fait appeler Victoria. Marie-Laure vit avec Marc-Ange, un sociologue en manque d’inspiration, qui l’entretient et qui était autrefois son professeur. Victoria est une jeune femme qui, dans l’attente que sa voie royale se manifeste, attend en observant le monde son balcon. Elle se cherche, et est convaincue que le destin se manifestera d’une manière ou d’une autre, et qu’il n’est pas nécessaire de travailler en attendant. Autour de ce couple gravitent les deux enfants de Marc-Ange, nés d’une précédente union : le Petit, qui, à dix ans, porte un regard sur le monde qui n’est pas de son âge, et commente les faits avec sérieux et avec un décalage des plus drôles, et sa sœur jumelle, qui, limitée intellectuellement, frôle la catastrophe à plusieurs reprises.
Avancer est un roman résolument de notre époque : on peut y voir un roman d’apprentissage moderne, qui évoque le désarroi d’une jeunesse qui ne sait plus quoi faire de sa vie. Mais Avancer est également par bien des aspects un roman de l’absurde, qui souligne la prétention des uns et la vacuité des autres.
On peut voir dans Avancer un roman d’apprentissage moderne détourné, dans lequel l’héroïne tâche de devenir adulte. Si, autrefois, le roman d’apprentissage jetait fréquemment ses héros sur les routes à la conquête de leur destin, Victoria, elle, l’attend de pied ferme sur son balcon (« Mettons Victoria, mettons même Marie-Laure, diplômée du supérieur, engourdie au balcon, faute d’échéances. » p. 25). Maria Pourchet joue donc avec les codes du roman d’apprentissage traditionnel, car Victoria a tout de l’anti-héroïne : elle se laisse porter par la vie au lieu de la prendre en main, joue avec son identité (n’hésitant pas à se créer plusieurs personnalités, qu’il s’agisse de Marie-Laure la plaintive, de Victoria, plus courageuse ou encore d’Agathe quand elle s’intéresse à sa vie sociale) au lieu de l’affirmer au cours du roman. Mais, se faisant, Maria Pourchet fait de Victoria un personnage très actuel, très ancré dans son époque. Victoria peut même être considérée comme l’avatar de sa génération, en incarnant une jeunesse désœuvrée, peinant à trouver sa voie dans une société où les études ne garantissent ni un travail, ni une vocation. Avancer peut être perçu comme une véritable quête de soi, à l’heure où bien des jeunes cherchent à définir leur identité sociale et professionnelle. Grâce à l’usage de la narration à la première personne du singulier, le lecteur peut s’identifier à Marie-Laure : le personnage ne laisse personne indifférent. Elle peut tout à la fois attirer la compassion du lecteur, son mépris ou son agacement. En réussissant à créer un personnage suscitant des émotions aussi contradictoires chez le lecteur, Maria Pourchet crée un protagoniste très vivant, très humain. Marie-Laure descend finalement de son balcon pour être confrontée à la vraie vie, à la misère sociale, aux petites combines illégales pour survivre. En se fâchant avec Marc-Ange, la jeune femme est contrainte de partager le quotidien de deux sans-abri qui logent dans le préfabriqué qui abrite en journée les ouvriers du chantier en face de chez Marc-Ange : la jeune Victoria découvre alors l’inconfort et l’ennui de la vie dehors, un peu à la manière d’une touriste maladroite ou d’une enfant gâtée. Elle est bien souvent une gêne pour Dupont, le sans-abri qu’elle avait pris pour mentor. Victoria aura toutefois finalement évolué, se trouvant une carrière et une vocation de chef de famille (« Victoria souhaitant assurer son nouvel état de chef de famille avec une décision un peu constructive avait ouvert un cabinet à domicile. Un vrai cette fois, avec Urssaf et enregistrement au tribunal de commerce. » p. 216). La jeune femme inconséquente du début du roman aura beaucoup appris, en n’allant guère plus loin qu’en bas de chez elle.
Mais outre un roman d’apprentissage, Maria Pourchet a également su jouer avec l’improbable, pour écrire un roman de l’absurde où elle n’hésite pas à égratigner le milieu universitaire et les sociologues, les joies de la famille recomposée et la bêtise humaine sous toutes ses formes. Maria Pourchet ne dénonce jamais : elle se contente de montrer et de laisser le lecteur juge, grâce à des scènes vivantes et colorées. Et de fait, le résultat est probablement plus spectaculaire encore : quand Marc-Ange, le compagnon de Victoria, parle de ses enfants et des problèmes de garde alternée, c’est tout le mythe de la famille recomposée idéale qui s’effondre au profit d’une vision plus nuancée mais également plus loufoque, dans laquelle l’autre conjoint est appelé « l’autre folle » et où on peut voir un enfant accueilli par son père par un « je la ramène chez sa mère, pas besoin de s’étouffer pour ça, bordel » (p. 50) et un autre éconduire sa mère d’un « tu te fous de nous ? » (p.87). Le personnage de Marc-Ange, sociologue à la production stérile depuis quelques temps, résume également à lui seul tous les travers de l’université. Il incarne une véritable caricature du sociologue, jurant à tout va, s’énervant pour peu de choses, rêvant de Pierre Bourdieu (« M. Pierre Bourdieu est un sociologue très célèbre qui a invité la misère du monde qui ne lui avait rien demandé et qui est mort d’autre chose. Marc-Ange en rêve très souvent depuis quelques années. » p. 55). Marc-Ange est un professeur qui s’est mis en ménage avec son élève, Victoria, ce qui n’est pas des plus éthique, et qui exploite ses étudiants pour leur demander de faire le travail de Victoria, tout en commentant : « Pour le moment, […] ils marchent à la gloire. Mais il faut s’attendre à devoir les indemniser. J’ai déjà eu le coup. Il y en a toujours un qui réalise. Enfin ce ne sera pas grand-chose, parfois je les ai avec des livres, c’est comme les enfants. » (p. 126). L’absurde devient alors la meilleure arme de Maria Pourchet.
Incarné par la fascination des différents protagonistes pour le trou des travaux qui se passent juste en bas de l’immeuble de Victoria, l’absurde est donc omniprésent dans le roman, des dialogues aux situations. La descente aux enfers de Victoria, que rien ne force véritablement à descendre vivre dans la rue est une des nombreuses manifestations de l’absurde dans le roman de Maria Pourchet : on a presque la sensation que Victoria se complait dans son petit drame personnel. Le lecteur remet en question chacune des décisions de l’héroïne, car elles sont rarement des plus sensées, cela le fait tantôt rire, tantôt s’énerver. Ce décalage est à la source de situations cocasses, qui font rire le lecteur. Le Petit, dont les réflexions et actions cadrent rarement avec son jeune âge, est souvent à la source de situations ou de dialogues absurdes, des plus anodines, comme un enfant écoutant aux portes à l’aide d’un entonnoir aux plus dramatiques, comme la scène où le Petit dort devant la porte de la chambre de son père par peur de se voir abandonner une nouvelle fois. Le Petit est un des personnages les plus attachants du roman : bien qu’érudit et moralisateur, l’enfant semble le véritable adulte du récit, doté d’un réalisme qui n’est pas de son âge. L’aide qu’il apporte à Victoria pour son enquête sur les Vélenvilles est très cocasse. La quête sociologique de Victoria est en elle-même plutôt absurde : elle fait fi de toute théorie et détourne le but premier de l’enquête, qui lui permet de s’immiscer dans la vie de ses sujets d’étude. Aidée d’un enfant, elle n’a aucune méthode et aucun professionnalisme, ce qui cause plusieurs situations assez drôles : elle est souvent distraite par une conversation, et pousse même son enquête jusqu’à suivre sa victime à la piscine, ou à la laverie.
Enfin, il est intéressant de constater que Victoria est la seule à prêter attention à ses voisins sans domicile fixe, les Dupont : elle prend souvent le temps de parler avec eux, même si le lecteur sent bien qu’elle leur impose sa présence, alors que Marc-Ange se préoccupe davantage de ses amis sociologues. Bientôt, la bourgeoise qu’est Victoria va dépendre de deux sans-abri, inversant le rapport de force du début du roman. Victoria logera quelques jours dans l’Algeco, s’immergeant dans le mode de vie des sans-abri, leur permettant de devenir plus que des figurants dans le récit.
Avancer est un bon premier roman, qui, grâce à une galerie de personnages hauts en couleur et une série de situations improbables, divertit le lecteur tout en tournant implicitement en dérision quelques grands thèmes de la vie parisienne d’aujourd’hui : les Vélenvilles, qui sont bien entendu nos Vélibs et le manque d’attention de leurs conducteurs, l’indifférence des parisiens face à la misère des sans-abris, le désarroi de la jeunesse et la difficulté des étudiants à trouver à un avenir qui leur convienne. Roman d’apprentissage actuel, Avancer joue subtilement avec l’absurde, symbolisé par le trou des travaux en face de l’appartement de Marc-Ange afin de faire le portrait d’une famille parisienne d’aujourd’hui.
Avancer, Maria Pourchet. Gallimard, septembre 2012.
Par Emily Vaquié
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