CAROLINE DU SUD — Le Chant de la Tamassee n’est pas un roman très épais : à peine plus de deux cents pages. Pourtant, Ron Rash réussit à nous livrer un récit intense et puissant, et à y développer de nombreux thèmes : écologie, deuil, culpabilité, éthique journalistique…
Lorsque son rédacteur en chef demande à Maggie Glenn, photographe de presse, de suivre un de ses reporters près de la Tamassee pour couvrir un drame, la jeune femme sait que ce reportage risque d’être difficile à mener. Les enjeux sont importants et tragiques, et prennent pour Maggie une tournure personnelle car le reportage implique pour elle un retour aux sources, à l’endroit où elle a grandi.
L’histoire paraît simple mais elle ne l’est pas : une petite fille, Ruth, s’est noyée dans la rivière. Son corps est prisonnier du cours d’eau, coincé par un rocher à proximité d’une chute. Pour la libérer et permettre à ses parents de lui donner enfin une sépulture, il faut installer un barrage amovible : une installation illégale, contraire aux principes écologiques de certains des membres de la communauté. Les partisans du barrage et ses opposants s’affrontent, piétinant au passage le deuil d’une famille, sous le regard de Maggie et de son collègue journaliste, bientôt rejoints par des confrères au fur et à mesure de la médiatisation croissante de l’affaire.
Qu’est-ce qui prime dans une situation aussi difficile ? L’écologie, le fait de préserver un cours d’eau sauvage et magnifique, ou l’humanité, le fait de permettre à des parents d’enterrer leur petite fille de douze ans ? Le débat passionne, choque, touche : il ne peut en aucun cas laisser indifférent. Maggie, qui a grandi sur les rives de la Tamassee et son collègue Allen, récemment frappé par un deuil, sont particulièrement ébranlés par l’affaire. Pour Maggie, c’est une brutale immersion dans son passé, dans sa famille : difficile pour la jeune femme de ne pas passer en revue les tragédies familiales, à l’heure du retour au foyer, alors que son père est aux portes de la mort. Est-ce l’heure du pardon, de l’oubli salvateur ? Ron Rash réussit à poser les bonnes questions avec pudeur et justesse.
Les personnages de ce roman sont hantés. Leur passé les suit comme une ombre, les leste dans leur vie de tous les jours. Dans ce microcosme qu’est la communauté de Maggie, on n’oublie rien et la solidarité affichée peut entraver autant qu’elle peut aider. Alors qu’on pense la situation déjà suffisamment tragique en soi, Ron Rash n’hésite pas à monter d’un cran dans le drame, nous livrant des pages d’une tristesse insondable.
Et pourtant, même si la rivière est cruelle, Le Chant de la Tamassee est une véritable ode à la nature : les descriptions des rives du cours d’eau, des arbres qui se courbent au dessus de la rivière, de l’éclat du soleil sur les montagnes sont d’une beauté indéniable. Ron Rash nous dévoile des paysages sauvages, que les personnages aiment farouchement, et que certains sont prêts à tout pour protéger, à l’instar de Luke, un des habitants de la région aux convictions écologiques très fermes.
Le Chant de la Tamassee est un très beau roman, maîtrisé de bout en bout : tout y est !
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