NEW YORK — Un crime, un poète, une ville : voilà ce que nous promet le résumé de Noir Corbeau, un roman policier historique signé Joel Rose, qui nous transporte à New York en 1841. Aux côtés du vieux Hays, chef de la police de New York, le lecteur enquête sur le meurtre réel (et à ce jour inexpliqué) de Mary Cecilia Rogers. Ce mystère a à l’époque échauffé bien des esprits, suscitant l’enthousiasme de la presse, des lecteurs et… des auteurs. Ainsi, un certain Edgar Allan Poe s’est emparé du fait divers pour en faire une nouvelle…
En 1841, le vieux Hays est déjà en fin de carrière : voilà près de quarante ans qu’il dirige les forces de police de New York et en quatre décennies, il en a vu passer des choses dans cette ville mythique ! L’affaire Mary Rogers sera une des dernières de sa vie : qu’est-il arrivé à cette jeune femme, retrouvée étranglée ou noyée sur les rives de l’état voisin, vraisemblablement violée et battue ? Hays est prêt à tout pour mener l’enquête, d’autant qu’il s’avère assez rapidement que cette jeune femme connaissait bien du beau monde à Manhattan : industriels, auteurs, éditeurs… Tous défilaient dans le magasin de tabac où elle travaillait. Tous étaient sous le charme.
C’est donc une enquête que nous propose avant tout ce roman : mais une enquête avec les moyens de 1841. Inutile de dire que nous sommes bien loin des Experts ou des aventures de Kay Scarpetta ! Le médecin légiste n’est même pas en mesure de déterminer précisément les causes de la mort, la préservation des preuves n’est encore qu’une simple idée, et on peut se contenter de vêtements pour identifier une victime… Les communications prennent aussi forcément beaucoup plus de temps (impossible, bien sûr, de passer un coup de fil à un confrère dans l’état voisin)… Autre temps, autres techniques ! Le vieux Hays est un fin limier : ses moyens ? L’interrogatoire, les témoignages, l’étude de la presse… Le lecteur moderne, habitué des techniques pointues d’aujourd’hui sera peut-être déstabilisé… Mais il y gagne grandement au change car c’est par ailleurs un roman historique de haute volée.
Il y a en effet tellement de détails sur la géographie des lieux, sur les moeurs, sur les personnages qui habitaient alors New York que le lecteur est tout bonnement immergé dans le Manhattan des années 1840. Le panorama est très complet : on nous montre les bas-fonds de la ville, ses tavernes glauques, ses cimetières sinistres, mais aussi ses salons, les bureaux de ses industriels… Mention spéciale pour la description des Tombs, où Hays a ses bureaux. Cette prison emblématique n’aura plus de secrets pour vous !
Ce roman ne serait rien sans les nombreux personnages, pour la plupart réels, qui y évoluent. On y croise ainsi la crème de la crème de l’édition américaine : quiconque s’intéresse un peu au milieu du livre américain reconnaîtra certains grands noms aujourd’hui encore très connus, parmi lesquels les frères Harper, qui apparaissent ici comme des éditeurs cupides, aux méthodes douteuses… Le Vieux Hays est lui aussi un personnage réel, tout comme la victime, Mary Rogers. Ce vieux renard est un des protagonistes qui se détachent le plus du récit : pugnace, bienveillant, appliqué, le vieux flic est extrêmement touchant. On appréciera sa relation avec sa fille Olga, brillante et cultivée.
Mais le personnage qui ressort peut-être le plus est sans doute Edgar Allan Poe. Le portrait qui en est fait n’est pourtant guère flatteur. L’auteur apparaît inconstant, égocentrique, pédant : il passe le roman à quêter de l’argent à droite à gauche, et ses errances le font même parfois passer pour fou… Il apparaît donc très antipathique. Son oeuvre hante le récit de Joel Rose, mais le lecteur, agacé par la personnalité du poète, n’a même pas envie de s’y attarder…
Plus que l’enquête, finalement assez frustrante pour le lecteur moderne, on retiendra de ce roman la formidable peinture d’une époque, et d’une ville : on a l’impression de voir le New York des années 1840 à 360°…
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