Un roman sur l’enfance : Le Train des orphelins

Le Train des orphelins, Christina Baker Kline

MAINE & MIDWEST — De l’Irlande des années 20 au Maine des années 2000 : en voilà un chouette programme pour le roman de Christina Baker Kline, Le Train des orphelins. À travers le personnage de Niamh/Dorothy/Vivian, l’auteur nous livre une histoire touchante et méticuleusement documentée, bien que cousue de fil blanc.

Le point de départ de ce récit ? Le train des orphelins. Entre 1854 et 1929, des trains partaient de New York avec à son bord des orphelins de la ville, à destination du Midwest, leur promettant une enfance robuste à la campagne plutôt que dans un des orphelinats surpeuplés de Manhattan. A chaque arrêt, c’est le même cirque : les enfants sont sortis des wagons et exhibés devant des familles qui, la plupart du temps, cherchent de la main d’oeuvre gratuite, plus qu’un enfant à aimer. Une vie de servitude plutôt qu’une vie de famille. Mais aux yeux pragmatiques de l’aide à l’enfance, mieux vaut cela que la mendicité dans les rues impitoyables de New York.

C’est l’histoire familiale de son époux qui a inspiré Christina Baker Kline et lui a donné l’envie d’imaginer le destin d’un de ces enfants en particulier. La jeune Niamh est née en Irlande et a immigré avec sa famille à New York à la fin des années 20. Point de terre promise : les parents de Niamh découvrent une ville où il faut travailler dur pour survivre, et où le simple fait d’être Irlandais peut vous attirer insultes et crachats. Pire encore pour la petite Niamh : un incendie décime sa famille, la laissant seule au monde. La voilà donc en partance avec des dizaines d’autres orphelins pour les grandes plaines, dans un train des orphelins. C’est le grand déracinement, une fois de plus.

Grandir sans parents dans l’Amérique de la Grande Dépression, quand, en plus, son accent et sa chevelure flamboyante la désignent directement comme une étrangère… Le destin de la petite Niamh, neuf ans, n’a rien d’enviable. Placée dans différentes familles d’accueil toutes plus glauques les unes que les autres (les Thénardier semblent presque charmants en comparaison), la petite fille peut-elle espérer trouver le bonheur ? Une fois de plus, l’American Dream est mis à mal.

Et pourtant… nous retrouvons Niamh, devenue Vivian, quelques soixante-dix ans plus tard. La vieille femme vit dans un manoir luxueux dans le Maine, a donc réussi à surmonter ses débuts laborieux dans la vie mais est désespérément seule : une solitude brisée par Molly, une adolescente à problème de dix-sept ans, également orpheline. C’est là que le récit sonne quelque peu niais, en usant et abusant des bons sentiments. La jeune fille et la vieille femme deviennent rapidement proches, et s’aident mutuellement : Vivian devient aux yeux de Molly la figure maternelle qui lui manquait dans sa vie et Molly aide Vivian à accepter son passé. Ces scènes, finalement, n’apportent pas grand chose à l’intrigue. Ce que nous voulons savoir, nous, c’est l’incroyable destin de Vivian, orpheline des trains : comment elle a pu survivre dans une Amérique désespérément en crise, à l’époque des hobos et des grandes migrations de dernier recours vers la Californie, la patrie des orangers. Si l’Irlande que la petite fille a quitté, frappée de plein fouet par la crise consécutive à l’indépendance, n’était pas un havre de paix, l’Amérique dans laquelle elle arrive n’a rien d’une terre d’abondance. Le crash boursier de 1929 remet tout en question, à l’instar de la bonne santé financière de la filature des Byrne, le couple qui recueille Niamh. Son destin bifurque une nouvelle fois quand, après le crash, les Byrne la remettent une nouvelle fois entre les mains de l’aide à l’enfance…

Le roman de Christina Baker Kline met en lumière un épisode méconnu de l’histoire américaine : le train des orphelins peut paraître anecdotique, mais il est en réalité symptomatique de l’image de l’enfant à l’époque. Plus qu’un être à protéger et à aimer, l’enfant apparaît alors comme une main d’oeuvre bon marché, un fardeau dont il faut tirer parti au mieux et qu’il n’est pas nécessaire de ménager. Dans Le Train des orphelins, les adultes ne voient jamais en Niamh une petite fille qui a vécu des choses atroces pour son jeune âge, mais plutôt comme une couturière, une aide ménagère, ou encore une nourrice… Jamais une enfant. Un constat terrible. Une réalité historique qui ne l’est pas moins…

Le Train des orphelins, Christina Baker Kline. Belfond, 2015. Traduit de l’anglais par Carla Lavaste.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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