Un roman impitoyable : Printemps barbare

Printemps barbare, Héctor Tobar

CALIFORNIE — À la rentrée 2012, souvenez-vous, on nous annonçait, ni plus ni moins, l’arrivée d’un nouvel héritier de M. Tom Wolfe, cet ancien journaliste américain féru de costumes blancs. Ce nouvel auteur s’appelle Héctor Tobar et nous livre une vision sans concession de la Californie du XXIe siècle, et, bien au-delà, de l’Amérique, un pays bien cruel envers ceux qui ont l’audace de croire au si célèbre American Dream.

Elle s’appelle Araceli Ramirez, est mexicaine et sans papiers. Depuis plusieurs année déjà, elle travaille au service d’une riche famille de Californiens , les Torres-Thompson. Lui fut autrefois un programmeur de génie, et n’a plus d’hispanophone que le nom. Elle aime que sa maison soit impeccable et son jardin la fierté du voisinage. Mais un jour, l’argent vient à manquer : le jardinier et la nounou sont congédiés, il ne reste plus que la bonne, qui devient alors la nounou attitrée des deux petits garçons et du bébé du couple. Un jour, après une dispute violente, les Torres-Thompson disparaissent, laissant Araceli seule avec les deux petits garçons sans la prévenir. La jeune femme paniquée va alors entreprendre un périple éprouvant dans Los Angeles à la recherche du grand-père des petits. Mais cet acte sera mal perçu. Accusée d’enlèvement, Araceli découvrira à ses dépends qu’il n’existe pas d‘American Dream

La presse semble voir Printemps barbare comme une version californienne et plus récente du Bûcher des vanités, qui démontait l’image idéalisée des traders américains en montrant la chute d’un golden boy new-yorkais. Nouvel eldorado, la Californie représente pour les immigrants mexicains la promesse de davantage d’argent et de possibilités. C’est pour cela qu’Araceli a arrêté ses études d’art pour pouvoir aider sa famille en travaillant aux États-Unis. Embauchée par une famille riche et sympathique, Araceli pense avoir tout ce qu’une jeune exilée comme elle peut souhaiter. Puis, tout bascule. Les Torres-Thompson, comme tout le monde, souffrent de la crise. Personne ne la consulte, personne ne l’informe. Araceli se retrouve submergée par les tâches ménagères, tout en devant également surveiller d’un œil les enfants, le tout sans augmentation de salaire. Araceli souffre de ce manque de considération. Et quand les Torres-Thompson disparaissent avec la petite dernière, Araceli n’est finalement pas vraiment surprise de cet affront ultime : la laisser seule avec deux petits garçons privilégiés, sans aucune indication quant à leur retour…

Araceli est alors très inquiète : elle craint pour les petits qu’on ne les place dans ce qu’elle appelle un « faster care », une déformation du « Foster care » où l’on place les orphelins. Sans papier, et parlant mal l’anglais, la jeune femme est perdue hors du « paseo linda bonita » où résident les Torres-Thompson. Los Angeles, à travers ses yeux, devient une ville menaçante, une dangereuse jungle, où elle craint les loubards, mais également la police, qui pourrait la ramener à la frontière.

Roman au rythme très lent, qui met du temps à s’installer, Printemps barbare n’a rien de l’intensité du Bûcher des vanités, même si le parallèle est clairement visible : des années après le roman de Tom Wolfe, le poids des médias n’a fait qu’augmenter. Ces médias sont extrêmement puissants dans cette Amérique du XXIe siècle. Comme pour Sherman McCoy, ils n’hésitent pas à condamner Araceli. Mais dans cette Amérique plus moderne que celle du Bûcher des vanités, les médias permettent, par le biais d’Internet, à de nouvelles voix de s’élever : les internautes se déchaînent sur l’affaire et certains montrent du doigt, non plus Araceli, mais les Torres-Thompson eux-mêmes dont l’insouciance et l’opulence leur valent d’être la cible de certaines attaques virulentes.

Bon roman, Printemps barbare l’est sans aucun doute, malgré la pesanteur du récit. Il parvient à nous passionner, chose remarquable quand on songe qu’au terme du récit, Araceli ne nous n’est toujours pas agréable. Il est fort probable qu’Héctor Tobar devienne une des grandes voix américaines dans les années à venir, s’il arrive à être plus concis.

Printemps barbare, Héctor Tobar. Belfond, 2012. Traduit de l’anglais par Pierre Furlan.

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.