PARENTALITÉ — Cette nuit, comme toutes les nuits depuis l’été dernier, ma fille de vingt et un mois nous a appelés plusieurs fois, si bien que j’ai fini par m’étendre à côté d’elle et passer le reste de la nuit dans son lit. On s’habitue au manque de sommeil. Il faut croire qu’on s’habitue à tout.
Le sommeil des enfants (ou plutôt l’absence de) fascine les adultes. À peine l’enfant né qu’on vous abreuvera forcément de la fameuse question, tant détestée par la plupart des parents : fait-il ses nuits ? J’étais très fière de dire que oui, mon bébé d’un mois et trois semaines ne buvait plus de lait entre 21h et 6h et dormait bien, en dehors de quelques agitations pour une tototte tombée. C’était fantastique, inespéré. Après l’année de galère que m’avait imposé le sommeil haché de ma fille aînée, voilà que j’avais un bébé qui dormait. Hourra ! C’était tellement agréable après ma première expérience de maternité. J’étais rentrée de congé mat’ quand elle avait 5 mois, et tout mon entourage sans enfant s’était étonné qu’elle ne « fasse pas ses nuits ». On m’avait alors abreuvée de conseils tous plus absurdes les uns que les autres (le pire étant « pourquoi ne mets-tu pas son lit au milieu du tien ? »), de regards apitoyés, d’anecdotes déprimantes (« le fils de la voisine de la belle-soeur de mon oncle fait ses nuits, lui, et est plus jeune que ta fille ») et enfin, du célèbre « mais tu as essayé de la laisser pleurer ? » (non, je n’ai pas essayé et je ne le ferai pas, pour de nombreuses raisons, l’une d’elles étant notamment que si l’enfant hurle à s’en faire péter les poumons, bah c’est un peu compliqué pour le parent de dormir, hein !).
S’il y a bien une sentence déprimante qu’on a tous déjà entendu, c’est bien « en ce qui concerne le sommeil, rien n’est acquis avant deux ans. » Voire cinq, ou même sept selon les plus pessimistes. Quand ma fille a eu 14 ou 15 mois, les nuits ont commencé à devenir franchement compliquées, avec retour du biberon nocturne et cododo. Par une étrange ironie du sort, c’est l’âge précis auquel sa soeur a commencé à bien dormir la nuit, avec le double combo de la marche qui fatigue et des dents qui sont enfin toutes sorties. Depuis, on ne s’en sort pas. Je crois qu’il n’y a pas eu une seule nuit parfaite en plus de six mois.
Avant d’avoir des enfants, je préférais occulter cette réalité : jeune parent, on dort peu et mal. Comme beaucoup, j’avais tendance à minimiser. Enceinte, dans ma naïveté de primipare, j’ai lu qu’un nouveau-né dort facilement 16 heures par jour. J’ai espéré que je tomberais sur le modèle, légendaire, mythique, qui fait ses nuits dès le retour de la maternité. Ce qu’on ne nous dit pas, je l’ai découvert à la dure une fois le divin enfant né : le petit bébé dort peut-être beaucoup, mais de manière hachée, bruyante, et de préférence sur son parent. J’ai un souvenir atroce de mes deux séjours à la maternité quand, hagarde de fatigue après avoir fourni tout de même l’effort physique du siècle, je devais jongler entre les cycles de sommeil erratique de mes filles et les interruptions nombreuses et bruyantes de la vie à la maternité. En sortant la deuxième fois, je me suis écroulée chez moi pour une sieste qui a duré plus que tous les moments de sommeil combinés que j’avais réussi à grappiller en trois jours en suites de couches.
On s’habitue à tout, dit-on. Moi qui grognais dès que les circonstances m’empêchaient de faire mes deux grasses matinées hebdomadaires, j’ai dû apprendre que la nuit pouvait s’interrompre brusquement aux aurores (voire même, dans le pire des cas, ne jamais commencer). J’ai dû essayer de dormir quand le bébé dormait : pour ma fille aînée comme la cadette, pendant leurs premières semaines, je savais qu’en journée, je disposais de vingt minutes top chrono une fois posées pour essayer de grappiller un peu de sommeil. Heureusement, la nuit, elle acceptait de dormir seule un peu plus longtemps. Heureusement.
Je sais que tout passe, et qu’un jour, ils dormiront. C’est ce que vous diront les adultes compatissants qui sont passés par là avant vous : un jour, le sommeil revient. J’ai souvenir d’une nuit de poussée dentaire atroce, que j’ai passée dans le canapé avec ma fille aînée, réveillée dès 1h30 du matin. Le papa avait fait toute la soirée pendant que je dormais avec les poules, et il a pris le relai aux premières heures du jour quand, épuisée, je lui ai tendu la chair de sa chair. Quelques heures plus tard, cernée comme jamais, j’assistais à une réunion en essayant de ne pas songer à mon lit. Aujourd’hui, ma fille aînée, cette même petite fille, a émergé à 9h du matin avec une nuit de près de treize heures. La différence ? Le temps a passé. Quand elle fait, à presque quatre ans, des siestes de trois longues heures, je me rappelle de ses power naps épuisantes qui me permettaient à peine d’aller manger.
C’est cette expérience qui m’aide à relativiser les nuits difficiles que nous font vivre sa soeur cadette. On sait bien que ça ne durera pas éternellement. Le temps, de ce point de vue-là, est notre allié. Un jour, elle grandira, et n’aura plus autant besoin de nous. Alors c’est vrai, quand, à trois heures du matin, je l’entends pleurer, j’y vais et j’embrasse sa douce joue veloutée, je respire l’odeur de bébé de son cou et je savoure le moment où elle passe ses petits bras autour de ma tête. Hasard des choses, la première fois qu’elle a semblé me dire « je t’aime », ce fut pendant un de ces moments où, rassurée, elle me serrait contre elle. On dormira un jour. En attendant, on fait comme on peut.
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