Rose Valland, l’espionne à l’œuvre

RÉCIT BIOGRAPHIQUE — Jennifer Lesieur est romancière, essayiste et biographe. Après avoir signé la biographie de Jack London, qui a remporté le prix Goncourt de la biographie, elle se penche sur un monument de l’histoire française : Rose Valland.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, Rose Valland a sauvé plus de soixante mille œuvres d’art spoliées aux Juifs par les nazis. Malgré cela, personne ou presque ne connaît son nom. Lorsque Goering débarque à Paris pour se servir parmi les collections volées, elle est là, qui espionne, fondue dans le décor, insoupçonnable. Elle voit. Elle note tout. Les titres, les artistes, les propriétaires, les origines, les destinations des œuvres. Au risque d’être fusillée ou déportée. Elle poursuit sa mission de justice jusqu’à sa mort, bien après que l’âge de la retraite ait sonné. Son obsession du secret touche jusqu’à sa vie privée, jugée inavouable. Pour résister, il faut parfois savoir disparaître.

Le récit de Jennifer Lesieur commence juste avant que les nazis n’entrent dans Paris. Alors directeur du musée du Louvre, Jacques Jaujart organise le transport en sécurité des œuvres majeures que détiennent les musées parisiens. Rose Valland, historienne de l’art, attachée de conservation au musée du Jeu de Paume participe elle aussi au sauvetage des plus belles pièces que détient son musée : des Monet, des Picasso, des Chagall, des œuvres de Marie Laurencin, autant d’artistes déclarés “dégénérés” par les nazis et voués aux autodafés.
Mais son action ne s’arrête pas là : durant toute la durée de la guerre, Rose Valland, discrète à souhait, épie, observe et note les transits d’œuvre qui se déroulent au sein de son musée. Comme elle comprend l’allemand (une info qu’elle se garde bien de divulguer !), son espionnage s’avère particulièrement efficace. A l’issue de la guerre, elle fera partie des commissions de récupération, enquêtera en Allemagne – aux côtés des Monuments Men qui, eux, ont eu droit à plus d’égards de la part de l’Histoire. Grâce à ses notes précises, et son travail acharné, ce sont plus de soixante mille œuvres qui ont été restituées – et le travail n’est toujours pas terminé, puisqu’une loi permettant de sortir les œuvres des collections muséales françaises sans l’aval du Parlement, vient d’être votée au mois de juin 2023.

Jennifer Lesieur, grâce à un travail de recherche particulièrement documenté, ressuscite pour nous à la fois la mémoire de Rose Valland et l’ambiance du Paris occupé. Le style, hyper fluide, rend le récit non seulement très accessible, mais lisible presque comme un roman : on tourne les pages sans même y penser. Le travail de restitution des données historiques est admirable mais il faut toutefois garder à l’esprit qu’on est dans un récit historique, et non dans un roman, justement : les données scientifiques et historiques prennent souvent le pas sur les émotions des personnages, ce qui peut leur donner un aspect un peu austère.
Au fil des pages, Jennifer Lesieur aborde aussi la place des femmes dans le monde de l’art, et dans la société en général. Si Rose Valland a pu espionner si efficacement, c’est parce qu’aux yeux des Allemands, elle n’avait aucun statut – après tout, elle n’était qu’une femme. Et ce statut invisible va la poursuivre : son nom reste peu connu, et bien qu’elle soit une des femmes les plus décorées en raison de son action de résistance, elle mourra et sera enterrée dans une totale discrétion, aux côtés de sa compagne, Joyce Heer.
Le récit biographique se complète d’une postface d’Emmanuelle Polack, historienne de l’art et spécialiste de la spoliation et de la restitution des oeuvres d’art, complète le récit de Jennifer Lesieur de données techniques, législatives et scientifiques sur le sujet, revenant elle aussi brièvement sur l’effacement du nom de Rose Valland des chroniques historiques.

En somme, c’est un récit passionnant que signe Jennifer Lesieur : de son style fluide, elle rend à Rose Valland ce qui lui appartient. Son récit, accessible, parfaitement documenté, facile à lire et très prenant rend hommage au courage, à la détermination et à l’humilité cette héroïne.

Rose Valland, l’espionne à l’œuvre, Jennifer Lesieur. Postface d’Emmanuelle Polack. Robert Laffont, 11 mai 2023.

Crédit Photo Rose Valland : ⒸFamille Camille Garapont
A propos Oihana 711 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

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