ROMAN AMÉRICAIN — Nombreux ont été les Chinois à traverser l’océan pour s’installer aux Etats-Unis à l’époque déjà lointaine de la ruée vers l’or. Aujourd’hui encore, le Chinatown de San Francisco reste la plus grande communauté chinoise hors d’Asie. Polly Bemis, le personnage principal du roman de Ruthanne Lum McCunn, est devenue une de ces héroïnes telles que l’Amérique aime les fabriquer : une figure de pionnière, courageuse et déterminée, apportant à sa façon sa contribution à la construction de l’Ouest américain. Un mythe, en somme. Mais Polly Bemis a véritablement existé et on possède même des photos de cette femme née au milieu du XIXe siècle. Un musée lui est même dédié dans l’Idaho, l’état où elle a vécu la grande majorité de sa vie.
Ruthanne Lum McCunn a décidé de consacrer un roman à cette femme fascinante, à la vie difficile mais ô combien romanesque : Mille pièces d’or. Polly Bemis est née Lalu Nathoy en 1853 en Chine, au sein d’une famille de paysans pauvres. Dans son village fréquemment attaqué par des bandits, Lalu travaille dur pour éviter que son père ne la vende pour sauver sa famille de la faim qui les dévore, une pratique choquante mais apparemment courante à l’époque. Lalu finit tout de même par être vendue à une bande de pillards qui force la main à son père. C’est là que son incroyable destin va se mettre en branle. Les voleurs, qui la destinent tout d’abord à être leur esclave domestique et sexuelle, décident finalement de la vendre à une maison close de Shanghai. Ladite maison close, statuant que le visage doré par le soleil et la maigreur de Lalu ne plairont pas à sa clientèle chinoise, la revend aussitôt à une entremetteuse qui cherche des Chinoises à envoyer aux Etats-Unis. Voilà donc Lalu partie pour un très long voyage dans la cale d’un bateau, avec un passage express à San Francisco, jusqu’à son installation à Warrens, dans l’Idaho, où elle devient l’esclave d’un tenancier de saloon chinois.
Ruthanne Lum McCunn retrace l’intégralité de la vie de Lalu, devenue Polly en Amérique, jusqu’à sa mort en 1933. Personnage courageux, épris de liberté et profondément bienveillant, Polly nous touche et nous surprend tout au long du roman. A ses côtés, nous ressentons le désespoir de quitter sa famille pour toujours, la sensation que l’horizon est définitivement bouché, qu’on ne retrouvera jamais la liberté. Nous découvrons la profonde désillusion que représente l’arrivée en Amérique, où la jeune fille s’attend à trouver de l’or partout : elle rêve de faire fortune en un tour de main, de pouvoir alors acheter sa liberté et revenir en Chine. Un rêve vain, hélas. Les premières heures passées à San Francisco sont effroyables. Si elle n’est pas docile, on lui fait miroiter de terribles possibilités : devenir esclave dans un bagnio, voire être laissée à mourir dans un « hôpital ». Pas de rêve américain pour la jeune fille, qui doit supporter humiliation sur humiliation…
Aux côtés de Jim, un Chinois qui vit en Amérique depuis une dizaine d’années, la jeune fille va quitter la Californie pour l’Idaho, où elle va rencontrer son nouveau maître, un vieillard cruel et avide qui compte bien se servir de l’attrait exercé par la jeune fille dans un camp presque exclusivement masculin pour faire des affaires. Abusée par son maître, la jeune fille rêve de liberté, bien que la possibilité d’un retour en Chine devienne de plus en plus improbable et de moins en moins souhaitable, car elle sait qu’elle sera contrainte de s’y marier, et de connaître un nouveau genre de servitude, pour y survivre. Mais, de manière surprenante, Polly arrivera à redevenir libre, et même, à trouver l’amour.
Malgré les horreurs qui arrivent à cette pauvre Polly, Mille pièces d’or est un beau roman, qui nous parle d’amour et d’amitié. En effet, malgré un contexte politique très hostile à la communauté chinoise, Polly se fera de nombreux amis à Warrens, avant d’y devenir une figure locale très appréciée, voire même quasi légendaire, en témoigne la présence d’un musée à son nom de nos jours. Son histoire d’amour avec celui qui deviendra son mari est très émouvante, et saura toucher les coeurs les plus endurcis. Mais surtout, Ruthanne Lum McCunn nous livre un magnifique portrait de femme pionnière, dans ce pays en pleine expansion. Une lecture nécessaire, et une belle leçon de courage !
Soyez le premier à commenter