Virtuoso ostinato, une belle surprise !

Il faut être effectivement obstiné pour apprécier la prose de Philippe Carrese, qui nous entraîne, dans une atmosphère lourde et pesante, dans un très beau roman sur l’Italie. Le récit s’ouvre, et se ferme, sur la photo d’une noce lointaine, dans un village italien. Tout le hameau pose fièrement, figé pour l’éternité sur papier. Le lecteur, curieux, se demande quelle est l’histoire de ces personnes, disparues depuis longtemps maintenant : il ne va pas tarder à le découvrir.

En 1911, quelques années après le cliché, la vie des Belonore, et du village de San Catello, en Lombardie, va basculer lorsqu’un homme important fait bien malgré lui halte près du champs des Belonore. Sa voiture tombe en panne et il a besoin de l’aide des paysans du coin pour pouvoir reprendre sa route. Brusque rencontre entre la modernité, sous la forme d’une automobile rutilante, et la ruralité, représentée ici par Volturno Belonore, le roi du village, et ses trois fistons, Lucio, Marzio et Toma… L’homme, ingénieur de son état, ramasse un caillou sur le chemin, et prédit la fortune à Volturno : il y aurait du minerai précieux enfoui dans son terrain.

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Une idée fixe anime alors Volturno : mettre à jour sa fortune à grand coup de pioche. Tout le village se passionne alors pour cette étrange entreprise. Mais cette prédiction est en réalité l’antichambre de la tragédie.

Vingt ans plus tard, nous retrouvons Marzio, le cadet, sur le point d’entrer en scène à la Scala de Milan, comme soliste. Le gamin issu des tréfonds de la Lombardie a parcouru bien du chemin : devenu violoniste, il parcoure le monde armé de son instrument, et joue dans les plus belles salles. Ce concert est le tout premier qu’il donne en Italie depuis son brusque départ vingt ans auparavant : entre temps, il aura connu la guerre et la montée du fascisme.

Virtuoso ostinato est un roman que l’on prend un peu de temps à apprécier, mais qui se déguste : la vie du petit village de San Catello peut sembler bien pesante de prime abord, mais on s’attache par la suite à ses figures les plus pittoresques, de la veuve qui a le feu aux fesses à l’aubergiste haut en couleur, en passant par le vieux Guiseppe qui ponctue les assemblées du village par ses nombreux vents. Chez les Belonore, l’ambiance n’est pas toujours au beau fixe : Volturno, dans la fleur de l’âge, est taciturne et obsessionnel. Son épouse, Ofelia, n’a pas encore dix-sept ans : elle porte dans ses bras sa toute petite fille, encore nourrisson, et veille sur les trois garçons de son époux, nés d’une précédente union. Enfin, la grand-mère, sèche et déplaisante, apporte ses commentaires acerbes sur tout et n’importe quoi, jusqu’à ce que Volturno la fasse généralement taire.

Le jeune Marzio est adolescent, et fou amoureux de sa belle-mère, qui n’a que trois ans de plus que lui, et qui est belle comme une madone. Une tension grandit entre le père et le fils, car la jeune marâtre n’est pas indifférente à l’affection de Marzio. Volturno, quand il ne surveille pas son cadet d’un oeil, rêve de sa fortune prochaine, persuadé qu’en quelques coups de pioche, le précieux minerai apparaîtra en nombre. C’est dans ce contexte qu’arrive au village celui par qui tout va basculer, un jeune musicien arrogant et séduisant venu de la capitale…

On peine à rentrer dans l’intrigue, mais on n’en est que mieux ferré par la suite. Philippe Carrese reproduit avec talent l’atmosphère étouffante des journées d’été d’antan, et il nous semble apercevoir derrière les lignes du roman la placette poussiéreuse et écrasée de soleil  de San Catello. Quelques scènes vibrantes d’émotion contribuent également au plaisir que l’on tire de ce roman. Les péripéties d’un Volturno bien décidé à prouver à tous et à toutes qu’il va devenir riche sont à la fois drôles et tragiques. Ses fils frôlent parfois la mort, car une mine se construit pas comme ça, et on ne fait pas fi des règles élémentaires de sécurité comme on veut. Mais Volturno s’obstine… C’est également l’histoire d’un village intemporel, qui semble vivre loin de la modernité ou de la justice des hommes : la violence la plus extrême peut se manifester sans véritables conséquences. A San Catello, on lave son linge sale en famille et la communauté, quoi qu’il arrive, se serre les coudes.

Une belle réussite !

Virtuoso ostinato, Philippe Carrese. éditions de l’aube, avril 2014.

Par Emily Vaquié

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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