Après un album remarqué sur le Tour de France, Le Tour des Géants, Nicolas Debon revient avec un autre album sportif, sur l’alpinisme, cette fois. Folles ascensions, grimpettes à la force des bras, tout est réuni pour nous faire vivre une belle aventure humaine et graphique.
Les débuts de l’alpinisme sportif.
De tout temps, les hommes ont rêvé de franchir les plus hautes montagnes, lançant toujours plus de défis au vide. Dans les années 1880, les Alpes ont été le terrain de jeu des meilleurs grimpeurs, tant et si bien qu’elles sont à l’origine du mot « alpinisme ». La compétition a longtemps été symbolisée par les aiguilles de Chamonix, réputées pour être dangereuses et impraticables. Désirables donc, et aptes à faire rêver les alpinistes de tout poil.
C’est donc tout naturellement qu’Albert Frederick Mummery, un alpiniste britannique propose le défi à son guide, Alexander Burgener. Nous sommes en 1881. Deux jours plus tard, en pleine nuit, le guide suisse Alexander Burgener, le porteur Benedikt Venetz et leur riche client britannique, Albert Frederick Mummery, se lancent à l’assaut de l’aiguille du Grépon, celle qui, grâce à ses façades verticales de glace et de rochers enneigés, résiste encore et toujours à l’envahisseur. Sauf si, bien sûr, celui-ci est animé par un petit mais néanmoins persistant grain de folie.
Avec L’Invention du vide, Nicolas Debon revient donc sur les débuts de l’alpinisme sportif, symbolisés par l’exploit du trio Mummery / Burgener / Venetz. Chacun des trois est essentiel à l’ascension et chacun des trois a pareille importance ; cela change des habituels récits d’alpinisme, dans lesquels ont ne retient que le nom du client, jamais celui des guides. L’accent, ici, est mis sur l’aventure humaine, et non sur les prouesses techniques : plus qu’un retour sur cette ascension incroyable, c’est une rétrospective de l’incroyable émulation qui a poussé le trio en avant.
N’allez pas croire que L’Invention du vide est un album affreusement sérieux : non, Nicolas Debon joue très bien avec les mots, et certains échanges sont proprement savoureux, ce qui ne gâche rien !
Un graphisme très agréable.
Le dessin, limpide, porte avec force et justesse cette incroyable épopée : on frémit devant le matériel rudimentaire emporté par les sportifs : les hommes sont en complet-veston, les femmes en robe, et uniquement armés de minces piolets et de quelques cordes, ce qui aujourd’hui semble impensable, voire dangereusement inconscient. C’est délirant, dangereux, mais plein de panache.
Les plans sont, pour la plupart, serrés, rapprochés sur les personnages et les parois, ce qui traduit très habilement la sensation d’infinie petitesse que l’on ressent en grimpant. Mais, de temps en temps, l’auteur nous offre un panorama grandiose : sommets découpés, mers de glaces, villages minuscules vus du sommet, tout y est. Si les traits des personnages sont à peine esquissés, un soin tout particulier est apporté aux montagnes et paysages, comme pour rappeler qu’ils sont partie prenante de l’histoire. Ou peut-être est-ce pour rappeler le caractère vain des hommes, frêles petites silhouettes lancées à l’assaut des vides et des flèches ?
Quant aux couleurs de l’aventure, elles restent dans des tons ocre et bleutés, parfaitement adaptés au contexte ; elles équilibrent le dessin, le rendent fluide et doux, et très agréable à regarder.
Un album quasi-documentaire.
Nicolas Debon s’est inspiré des écrits d’Albert Frederick Mummery, considéré comme l’inventeur même de l’alpinisme sportif et la bande-dessinée frise l’album documentaire : l’auteur a bien bossé son sujet, et ça se voit. L’annexe finale rétablit la part de réalité et de fiction dans l’album ; c’est le moment de constater que les personnages collent à la perfection à leurs portraits, ce qui rend la bande-dessinée d’autant plus réaliste ! Là où Nicolas Debon fait très fort, c’est qu’il fait de L’Invention du vide un album à la fois passionnant, didactique, et très subtil – en plus d’être très agréable à regarder.
En somme, on a là un album délicat, bien fait, et absolument envoûtant. On se croirait aux côtés de ces alpinistes de génie, éprouvant les mêmes sensations de vertige et le plaisir de la course (le danger en moins, et le tout sans bouger de son canapé). Preuve que l’album est très réussi, et qu’il devrait plaire aux néophytes comme aux amateurs.
L’Invention du vide, Nicolas Debon. Dargaud, 2012.
Par Oihana