La faiblesse d’une femme
Nous sommes à Paris, dans les années folles. Carlotta Delmont, célèbre soprano américaine, vient d’arriver dans la ville lumière pour interpréter Norma. Descendue dans un hôtel prestigieux, et accompagné de sa fidèle gouvernante Ida, la jeune femme se remet doucement d’un rhume. Carlotta a réussi à atteindre le sommet de son art en une décennie de travail acharné. En 1927, elle a tout, de l’argent, une célébrité mondiale, l’admiration de tous, et plus particulièrement de Gabriel, son compagnon. Mais, après un premier triomphe parisien, la star disparaît. La presse s’affole, la police entame des recherches, commence à draguer la Seine. Puis, la jeune femme réapparaît. Elle ne se doute pas que sa fuite et son besoin d’anonymat ont mis en péril la construction soigneuse qu’elle a échafaudé en une décennie.
La force d’un roman
Une faiblesse de Carlotta Delmont, c’est avant tout un roman peu commun, constitué d’extraits de presse, de la correspondance des différents protagonistes, du journal de Carlotta. Cette construction originale permet de cerner au mieux le personnage de Carlotta et le rend émouvant et complexe. Carlotta n’a pas encore trente ans, mais elle a déjà derrière elle une solide carrière et des années de travail. Elle est sur le devant de la scène depuis près d’une décennie, ses moindres gestes sont épiés, disséqués. Nous ne sommes pas encore à l’époque où les frasques font vendre. Le moindre scandale peut être fatal à la carrière d’une jeune femme comme Carlotta. Et le scandale arrive.
Qu’une jeune femme comme Carlotta, dont le passé se dévoile dans la presse, puisse éprouver le besoin de s’oublier un instant, de renier le temps d’un mois des années de dévouement à une unique cause, la musique, chacun est en mesure de le comprendre. Carlotta, par cet acte désespéré, devient une femme très vivante, très touchante. C’est une jeune femme passionnée, mais fragile, éprise de l’idée même de l’amour, faite pour être une héroïne de tragédie plutôt qu’une star.
Une faiblesse de Carlotta Delmont montre également l’importance de la presse dans la construction d’une personnalité publique, dans la construction d’une légende. Dans les années 20, bien avant Twitter, Facebook et la télévision, les médias possédaient déjà ce pouvoir extrême de bâtir et de démolir une réputation : en réalité, l’enjeu semble encore plus grand. La presse du XXIe siècle semble plus encline à pardonner, moins catégorique. Les années 20, dont on se souvient comme « folles », peinent à se départir d’une rigueur puritaine. Ainsi, lorsque Carlotta se coupe les cheveux à la garçonne comme c’était à nos yeux alors la mode, elle choque l’opinion publique. Fanny Chiarello, en une anecdote, dévoile ainsi toute la complexité et l’ambiguïté d’une époque.
C’est un roman qui sonne juste, et que l’on dévore avec grand plaisir. Le lecteur va de surprises en surprises et se laisse séduire par la personnalité d’une véritable héroïne romanesque. Au delà du faits divers, Fanny Chiarello dresse un portrait de femme intense et vibrant.
Une faiblesse de Carlotta Delmont, Fanny Chiarello. Éditions de l’olivier, 2013.
Par Emily