Cofondateur de la revue Alibi, consacrée au polar, Marc Fernandez est journaliste depuis plus de quinze ans, au cours desquelles il a notamment suivi l’actualité espagnole et latino-américaine. S’il a coécrit plusieurs romans, Mala vida est son premier roman solo.
De nos jours, en Espagne. La droite dure vient de remporter les élections après douze ans de pouvoir socialiste. Ce qui ne peut que plaire aux – trop – nombreux nostalgiques de Franco. Alors que certains fêtent la victoire en grande pompe et que d’autres déplorent que leur pays ait la mémoire si courte, une série de meurtres perpétrés de Madrid à Barcelone, en passant par Valence, soulève quelques questions. D’autant que les victimes semblent n’avoir aucun rapport les unes avec les autres ;
Diego, chroniqueur « rouge » à Radio Uno, seul rescapé de la purge médiatique du nouveau gouvernement, spécialisé dans les affaires criminelles, s’intéresse aux premiers meurtres de la série… sans se douter une seule seconde qu’il va mettre le doigt sur quelque chose de beaucoup, beaucoup plus gros : rien de moins que le plus gros scandale que l’Espagne ait connu, celui des bébés volés de la dictature franquiste. Afin d’affaiblir les ennemis du gouvernement, les enfants d’opposants (ou de toute personne vaguement suspectée de n’être pas franquiste pur jus) étaient déclarés mort-nés et vendus à des hauts-dignitaires ou amis du gouvernement. Une pratique qui a, malheureusement, perduré bien longtemps après la fin du régime franquiste et qui continue d’alimenter les débats, les enquêtes étant « mystérieusement » classées sans suite et les familles toujours en quête de réponses…
Marc Fernandez s’inspire donc fortement du réel pour tisser la matière de son polar. Résultat ? L’histoire est glaçante. Et d’autant plus dans le contexte politique actuel, puisque Marc Fernandez décrit parfaitement la façon dont les médias sont jugulés et la justice bafouée par le gouvernement en place dans le présent, mais aussi dans le passé, au moment de la dictature. Le roman n’est pourtant pas historique : s’ils cherchent des réponses à des événements survenus dès les débuts de la dictature, tout se déroule à notre époque.
Les deux intrigues s’entremêlent habilement. D’un côté, on a envie de savoir si le combat des victimes pour, d’une part, révéler publiquement le scandale et, d’autre part, retrouver les enfants volés (désormais adultes) et, de l’autre, on a très envie de savoir comment les personnes assassinées s’inscrivent dans le schéma. C’est l’action déterminante de Diego, le journaliste, qui fait vraiment avancer l’enquête – à ce titre, voir la façon dont il utilise son émission de radio est passionnante.
Le tout progresse à bon rythme, la plume de l’auteur étant très fluide, l’ambiance oppressante parfaitement restituée. On regrettera cependant que le rythme, si prenant, s’essouffle dans une la seconde partie.
Les protagonistes offrent une jolie palette, quoique pas toujours aussi complexe qu’on l’aurait aimée : il y a Diego, le journaliste « rouge », le juge Ponce, son acolyte, Isabel Ferrer, l’avocate de l’ANEV, l’association nationale des enfants volés, Ana, la détective trans rescapée de la dictature argentine. Tous évoluent au côté des uns des autres, se cachent des informations, éprouvent des sentiments parfois difficiles à exprimer tant le sujet est difficile. Finalement, il manque presque la voix d’un opposant pour parachever ce tableau et offrir un contrepoint !
Premier roman pour Marc Fernandez, donc, et le voilà qui s’en sort avec les honneurs. Mala vida est un très bon roman noir, prenant, à l’ambiance vraiment soignée et évoquant avec justesse un des plus grands scandales de l’Espagne moderne (et largement tu). La fin, plutôt ouverte, laisse supposer que l’on pourrait, à l’occasion, recroiser certains personnages !
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