Le puits des mémoires

Depuis quelques années, la fantasy a le vent en poupe, probablement suite aux adaptations à succès du Seigneur des Anneaux et d’Harry Potter. Depuis, la production d’œuvres fantasy a explosé, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire. Heureusement, dans cette surproduction littéraire en constant fourmillement, il arrive que l’on tombe sur de petites pépites. Le Puits des Mémoires est de celles-là. Attention, roman dangereusement addictif.

Le puits des mémoires, c’est le nom du terrible sort qui a frappé Olen, Karib et Nils, les protagonistes de ce roman. Ce sort leur a ôté toute mémoire ; lorsqu’ils reprennent conscience, dans les débris d’un chariot pénitentiaire accidenté en pleine montagne enneigée, ils ignorent tout à fait qui ils sont, et ce qu’ils font là. Pire : ils ne savent même pas s’ils se connaissent, et s’ils ont des raisons de se faire confiance. Leur premier acte sera de se choisir un prénom, à défaut de connaître le leur. C’est décidé, ils seront désormais Olen, Karib et Nils, unis dans l’adversité, et bien décidés à défendre chèrement leur peau. Et bien leur en prend car, après quelques centaines de mètres difficilement parcourus dans le froid et la neige, ils sont attaqués par une bande de brigands sans foi ni loi. C’est le moment de constater qu’ils ont des connaissances : Karib semble être un mage de guerre puissant aux pouvoirs instinctifs, Olen un bretteur accompli et Nils un redoutable lanceur de couteaux. Après cette première échauffourée, l’improbable trio va poursuivre sa route, et aller d’étranges surprises en surprenantes découvertes. Il ne faut pas longtemps pour que  les trois fuyards découvrent que leur tête et mise à prix et que, dans leur passé, ils font une très très grosse bêtise…

Le synopsis peut paraître étrange. En effet, trois protagonistes qui ignorent qui ils sont, ce qu’ils font là et pourquoi on les recherche, il fallait oser. Aussi incroyable cela puisse-t-il paraître, cela fonctionne extrêmement bien. Le tome 1, concentré sur la traque et la quête d’identité est très prenant car on se prend très vite au jeu, et on cherche à savoir qui peuvent bien être nos trois personnages, et pourquoi des centaines de milliers de personnes sont à leur trousse – parmi lesquelles la terrifiante armée d’élite d’un pays voisin, rien que ça. Ce tome est donc poussé par une belle mécanique de fuite, découvertes, progressions, refuite, etc. On a à peine le temps de souffler ; le récit est dynamique et ne souffre d’aucun temps mort, ce qui fait qu’on a beaucoup de mal à décrocher. D’autant que le postulat de départ est extrêmement original : des personnages qui ne se connaissent pas et qui se découvrent en même temps que le lecteur se familiarise avec eux, ce n’est pas banal.

Le contexte, en revanche, est assez classique : on se trouve ici dans de la fantasy qui ne sort pas du rang du point de vue de l’univers, des figures centrales, ou des thèmes développés. Ce qui change, ici, c’est le style extrêmement percutant et le jeu sur les codes du genre. Car Gabriel Katz a fort bien compris comment tordre le cou aux préjugés narratifs : si les personnages s’adonnent à une banale quête d’identité, force est de constater qu’ils sont tout sauf passe-partout. Entre Nils, le lanceur de couteaux ami des chevaux (et des animaux en général, de préférence petits et mignons), Olen, le guerrier beau gosse coureur de jupons, ou Karib, l’inestimable mage découvreur de caves secrètes (un talent aussi précieux que rare, nul ne se permettrait d’en douter), il est difficile de savoir lequel est le plus anti-stéréotypique ou le plus antihéroïque. Mais c’est justement ce  qui marche, parce qu’on s’attache très vite aux petites particularités ou aux petits défauts de chacun, au point qu’on en vient à les connaître aussi bien que de bons amis. Cela étant, ils ressemblent à tout sauf à des héros de fantasy classiques – glorieux, puissants, doués avec leurs dix doigts. Ce décalage introduit une dimension humoristique très forte ; l’auteur joue avec les codes des récits fantasy, et offre des scènes atypiques, surprenantes, et souvent très drôles. Le récit est mâtiné d’un humour pince-sans-rire qui rend beaucoup de passages proprement hilarants, alors que le ton reste relativement posé, et les scènes concernées très sérieuses.
Tout cela est bien fait, plein d’humour, extrêmement agréable à lire.

Au fil des tomes, l’enquête progresse, petit à petit. Car Gabriel Katz sait tout à fait comment s’y prendre pour faire mariner son lecteur et ménager son suspens. A la lecture, vous comprendrez ce que signifie l’expression « tomber des nues » : cliffhangers échevelés, effets d’annonces ébouriffants, retournements de situations pour le moins inattendus, l’auteur ne nous épargne rien. Le texte (tous tomes confondus) est extrêmement vivant, prenant, bien mené, ce qui fait que vous aurez du mal à vous arrêter, ou à faire une pause entre les tomes – notamment une fois que vous aurez achevé le 2, dont la fin vous laissera sur des charbons ardents, et avec l’irrépressible envie de mettre immédiatement le nez dans le 3…

Bien sûr, le ton se durcit dans ce dernier tome, celui des résolutions, des ultimes découvertes, des choix définitifs. S’il a moins d’allant, il reste aussi passionnant que les deux premiers. Quel que soit le tome, on ne s’ennuie pas un seul instant. Ce qui rend la saga si prenante, en dehors bien sûr du style et du jeu sur les codes, c’est que l’auteur a un talent tout particulier pour s’attacher aux petites choses. Son récit s’attardera plus volontairement sur les sentiments d’un jeune soldat à l’approche de la bataille plutôt que sur le récit épique et faussement grandiose dudit affrontement. Cela donne une fantasy très particulière, proche des petites choses du quotidien, et qui nous rend à la fois l’univers bien plus proche et accessible, extrêmement familier. Ainsi, tout semble à la fois très réaliste et très naturel, et rend les personnages d’autant plus attachants. Il est difficile de les détester complètement (sauf quelques irréductibles, bien sûr) car la plupart auront toujours un petit détail qui vous fera fondre, ou une histoire qui éveillera votre sympathie. De même, l’auteur se fend de temps en temps d’une petite scène émouvante, dont la sobriété et la puissance sont proprement exemplaires. Pas de doutes, Gabriel Katz est un magicien des mots.

Alors si vous aviez encore des réticences à découvrir la fantasy dont les clichés de quêtes grandioses à accomplir pour sauver le monde vous rebutaient un peu, lancez-vous avec Le Puits des Mémoires : le récit est fin, drôle, les analyses brillantes, et l’histoire palpitante. La saga se lit toute seule, et vous aurez du mal à laisser votre livre quand sera venue l’heure de retrouver Morphée. Le Puits des Mémoires est une excellente série, accessible, agréable à lire et bien tournée, alors il serait vraiment dommage de passer à côté. Et s’il fallait un dernier argument pour vous convaincre, Le Puits des mémoires vient d’être récompensé du Prix du roman francophone Imaginales 2013 ce qui, dans le milieu, est une distinction pour le moins prestigieuse ! Du tout bon, on vous dit !

Le Puits des Mémoires, Gabriel Katz. Trois tomes, éditions Scrinéo.

 Par Oihana de Café Powell

A propos Oihana 711 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

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