Comment le passé peut, brusquement, se réinviter dans votre vie, plusieurs décennies après les faits ? Retraité, le narrateur, Anthony dit Tony, reçoit une lettre, qui le ramène subitement à un week-end qu’il avait autrefois passé chez les parents d’une fille qu’il fréquentait.
Une fille, qui danse, c’est Veronica, l’ex petite amie de Tony, qu’il a connue quand ils étaient étudiants, dans les lointaines années 60. Un brin rigide, parfois contradictoire, résolument compliquée aux yeux de Tony, Veronica, une fille qui prétendait ne pas danser, s’était pourtant laissée aller à le faire dans la chambre de Tony. C’est un souvenir parmi d’autres, qu’il garde de cette relation, au même titre que sa résolution à ne pas aller « jusqu’au bout avec lui ». Tony était très jeune, en ce temps là : il brûlait de connaître les plaisirs de la chair, tant pour la jouissance à venir que pour devenir un homme, un initié, aux yeux de son groupe d’amis. Autrefois, ils formaient un trio, puis Adrian s’était greffé sur le groupe d’origine. Il était brillant, mystérieux, déjà un peu à part. Après la rupture de Tony et de Veronica, Adrian commença à sortir avec celle-ci et écrivit une lettre à Tony pour l’en informer. Tony répondit dans une lettre incendiaire, qui suintait la haine et la trahison, avant de partir pour un road-trip aux Etats-Unis. Quand il fut de retour, Adrian avait mis fin à ses jours. Pourquoi ?
Confronté de nouveau à cette tragédie quarante ans après qu’elle ait eu lieu, Tony fait le bilan de sa vie : qu’a-t-il réussi, ou échoué ? Sa vie a-t-elle été autre chose que moyenne ? Une profonde nostalgie imprègne le roman, alors que Tony se penche de nouveau sur ses années de jeunesse, sur son amitié avec Adrian brisée net pour une histoire de femme, sur sa relation avec ladite femme.
Servi par une jolie écriture, non dépourvue d’humour, voire de sarcasmes, et porté par un narrateur attachant, le roman de Julian Barnes montre comment les illusions de la jeunesse se délitent quand vient la maturité, et comment, au fond, les choses peuvent rester immuables alors que nous, nous évoluons imperceptiblement. Dans ce roman, on aime le regard porté sur le passé, et le temps qui passe, toujours plus vite, comme un corps qui chute gagne peu à peu de la vitesse au fur et à mesure que le sol se rapproche. C’est un roman sensible, tout en délicatesse, même lorsqu’il aborde les points les plus triviaux d’une relation amoureuse.
Une fille, qui danse, Julian Barnes. Folio, mai 2014.
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