Rencontre avec Pénélope Bagieu

Oriane : Qu’est ce que ça fait d’être une femme dans le milieu de la BD, qui est plutôt considéré comme masculin selon les clichés ?

Pénélope Bagieu : Il est considéré comme masculin par le grand public mais en fait il ne l’est pas. Dans la jeune génération, qui ne l’est plus tellement maintenant (rires), il y a beaucoup de femmes, beaucoup de lectrices surtout. Être une femme dans la BD c’est comme dans les autres milieux globalement, tu subis parfois des remarques un peu bas de plafond mais à part ça ce n’est pas très différent.

Oriane : Est ce que tu te considères comme une dessinatrice engagée ? Tu as fait une BD contre le chalutage profond…

Pénélope Bagieu : Non, je ne choisis pas de faire des choses engagées. Mais je n’ai pas d’autre moyen d’exprimer ce qui me passe par la tête que le dessin. Mais c’est un biais qui s’y prête bien lorsque je veux dire quelque chose au plus grand nombre. Par exemple la BD sur le chalutage c’est parfait pour dire les choses très rapidement et simplement à plein de gens et qu’ils retiennent les informations importantes. C’est selon l’occasion mais quand tu as quelque chose à dire le dessin c’est super pratique, notamment pour que les gens le lisent sans se méfier, sans l’appréhender comme un gros pavé indigeste. Ils se disent « oh c’est sympa ! » et en fait l’info est passée.

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Oriane : Le personnage de Joséphine, très fleur bleue, vrai boulet avec les hommes… c’est une sorte de cumul des clichés qu’on a sur les femmes, non ?

Pénélope Bagieu : C’est un personnage qu’on m’a demandé de créer. Un magasine m’a demandé de faire une femme par défaut. Je l’ai voulue la plus éloignée de moi que possible parce que j’avais déjà mon blog et que je ne voulais pas encore raconter ma vie. Pour avoir le champ libre dans les histoires que je lui faisais tomber dessus il ne fallait pas qu’il y ait d’aspérités, elle ne pouvait pas avoir une famille ou une vie exaltante.

Oriane : Tu dessines sur l’ordinateur ? Pourquoi ?

Pénélope Bagieu : En fait ce n’est pas un choix, c’est faute de mieux. A la base j’ai fait des études d’animation et en dernière année j’avais un film d’animation de 14 minutes à faire. Du coup je dessinais 14 heures par jour et je devais aller très vite. A force, la technique devient un automatisme. Ce n’est pas un outil que je trouve mieux qu’un autre, j’adorerais savoir faire autrement, mais je n’ai pas le temps d’essayer de nouvelles choses et l’ordinateur, pour moi qui le pratique, c’est ce qui va le plus vite.

Mais l’album sur lequel je suis en train de bosser en ce moment est entièrement au crayon à papier.

Oriane : Et tu bosses sur quoi du coup ?

Pénélope Bagieu : Une BD qui devrait sortir en septembre chez Gallimard et qui fait 300 pages, au crayon. J’ai vraiment été obligée de me faire violence, c’est comme apprendre à marcher, tu te casses la gueule tout le temps parce que c’est nouveau et en même temps c’est super excitant. Sur 300 pages j’ai bien le temps d’apprendre en plus… (rires).

Oriane : Et elle parle de quoi cette BD ?

Pénélope Bagieu : Ça se passe aux Etat Unis dans les années 60, entre New York et la côté Ouest. C’est le destin d’une femme qui a un peu tout contre elle mais qui a de très grandes ambitions et qui finit par quand même obtenir ce qu’elle veut dans le milieu de la musique.

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Oriane : Tu aimes le milieu de la musique visiblement, avec ta BD Stars of the stars

Pénélope Bagieu : Ben ouais, ça me fascine. J’aime bien parce que je suis une musicienne frustrée…

Oriane : Ah bon ? Tu n’en fais pas du tout ?

Pénélope Bagieu : Ah si, j’en fais…mais mal (rires). Je fais de la batterie dans un groupe. Mais ce n’est pas grave si je joue mal. C’est ça qui est bien quand tu fais un métier créatif. C’est un domaine où tu es obligée d’exceller donc ça allège la pression pour tour le reste. Si à côté je décide de faire de la poterie et que je suis nulle, ce n’est pas grave parce que ce n’est pas mon métier… Et la musique ça me fait tellement plaisir que je m’en fous complètement d’être nulle, c’est reposant.

Oriane : Et pour Cadavre Exquis, d’où t’est venue l’idée ?

Pénélope Bagieu : Quand j’ai commencé à faire des bandes dessinées, à parcourir les salons, j’ai découvert le milieu de l’édition et j’étais subjuguée par le rapport des auteurs à succès avec leur public.  Ils sont très vulnérables dans leur demande d’amour. On pourrait penser que ce sont des gens très sûrs d’eux mais en fait ils peuvent s’effondrer pour une mauvaise critique et ils ont beau être entourés de vrais gens qui les aiment dans la vraie vie, ce qu’ils ont besoin c’est que leur public les aime. Et le jour où le public leur tourne le dos ils s’effondrent complètement. Ils sont prêts à tout pour l’amour du public et le succès et je me suis dit que ce serait intéressant d’imaginer jusque où un auteur pourrait aller pour garder cet amour. J’ai construit l’histoire autour de Thomas, le personnage de l’auteur qui m’intéresse, et après il a fallu trouver un personnage secondaire pour entrer dans ce monde-là. Je me suis dit qu’il n’y avait rien de mieux qu’un personnage issu de milieu des boulots pas marrants, des gens qui ne lisent pas et pour qui le monde de l’édition est une autre planète à la limite de la science fiction. Du coup, ils ont un regard très détaché, très tranchant sur ce monde et se disent « c’est absurde, c’est que des livres ! ». J’ai eu envie de confronter ces deux mondes-là.

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Oriane : Mais la fin est jubilatoire quand même, finalement on n’aime pas trop Thomas…

Pénélope Bagieu : C’est vrai que c’est un milieu où il y a beaucoup d’égo et où les gens deviennent vite agaçants donc si on peut avoir un petit retour de bateau c’est bien aussi…

Oriane : Lequel de tes projets t’a plus tenu à cœur ?

Pénélope Bagieu : Celui que je fais en ce moment. Mais je dirai toujours ça. C’est comme dans une histoire d’amour, tu trouves toujours que celle-ci est la plus belle et que avant c’était pour de faux. Disons que les bouquins où je m’implique le plus et qui sont à la foi un accouchement difficile et une joie, ce sont ceux que j’écris. Dessiner pour quelqu’un d’autre ce n’est pas la même chose parce que, dans les moments où tu doutes, tu peux te reposer sur le fait qu’après tout ce n’est pas ton histoire. Alors que quand tu es seule, dans les millions de moments où tu doutes et où tu te dis qu’en fait c’est vraiment tout pourri et ben tu ne peux pas savoir si ce n’est pas vraiment le cas. C’est un travail solitaire mais très enrichissant et plus je me donne du mal à écrire, plus je suis contente. Mais de toute façon, dans l’absolu je ne suis vraiment contente d’aucun livre, j’imagine que je suis juste un peu moins mécontente à chaque livre que je fait parce que je me rapproche toujours un petit peu plus de ce que je voudrais faire. Peut-être que quand je serai une vieille dame je me dirai : « Voilà ça c’est le livre que je voulais faire depuis toujours, maintenant ça y est, j’ai compris! ».

Oriane : Et du coup tu trouveras que ton premier était tout pourri…

Pénélope Bagieu : Et ben non, tu as toujours de la tendresse pour le premier. C’est comme avec tes enfants, tu ne trouves pas que ton premier est nul. Tu te dis que tu l’aimes tellement et tu te souviens de tout ce qu’il a représenté pour toi. Je n’ai aucun snobisme par rapport à ce que j’ai fait avant. C’est un chemin et si tu enlèves une étape ça ne marche plus, il les faut toutes. Même les livres que je faisais à cinq ans ont une utilité, je pense, c’est une étape de ma construction.

Oriane : Et maintenant tu ne fais plus que des livres ou tu fais des choses à côté ?

Pénélope Bagieu : Je fais surtout des livres mais parfois je fais aussi des choses à côté pour m’aérer un peu. Par exemple là je travaille depuis deux ans sur une BD en noir et blanc, très longue, et quand on me propose une illustration de presse c’est super parce que ça va vite et ça permet d’expérimenter plein de choses et de m’aérer l’esprit.

Oriane : Et comment en es-tu venue à publier chez Gallimard ?

Pénélope Bagieu : C’était il y a longtemps, je venais de sortir le premier Joséphine, lors de mon premier Angoulême, j’étais assise à côté de Johan Sfar dans le train du retour. Coïncidence ou destin ? On a parlé pendant trois heures, il m’a demandé ce que je voulais faire dans l’idéal et je lui ai dit que je ne savais pas. Il m’a poussé à écrire un livre entier pour sa collection, « Bayou », chez Gallimard, alors que je ne pensais pas en être capable. C’était Cadavre Exquis. Il a projeté beaucoup sur moi et c’était très galvanisant d’avoir quelqu’un qui croyait en moi, ça m’a poussé à aller chercher au fond de moi des choses que je ne suspectais même pas. Du coup j’ai rencontré les gens de chez Gallimard, mon éditeur, qui m’accompagnent tout le temps et qui sont indissociables de mes livres. Je ne pourrais pas faire autrement que de bosser avec mon éditeur. J’admire les gens qui s’auto-éditent par choix parce que moi je suis perdue sans les gens qui m’entourent chez mon éditeur. On est tellement seule devant son travail que j’ai besoin que quelqu’un mette son nez dedans à intervalles réguliers pour me dire ce qui ne va pas ou, au contraire, pour m’encourager. Je n’y arriverais jamais sans eux, j’ai vraiment besoin de mon éditeur. J’ai tellement confiance en eux, je leur laisse me faire toutes les critiques. Mais je ne donnerais pas ce rôle à un éditeur que je n’estime pas, j’ai aussi trouvé le bon.

Oriane : Comme en amour ? C’est ton chéri qui ne va pas être content !

Pénélope Bagieu : Ils s’entendent très bien, il n’y a pas de problème (rires).

 Propos recueillis par Oriane Deckers

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