Passenger : Nicholas et Etta ont encore tout à prouver…

Passenger, Alexandra Bracken

VOYAGE DANS LE TEMPS — Passenger arrive en France le mois prochain, fort de son succès sur le marché américain, et de l’éloge d’auteurs comme Victoria Aveyard (Red Queen) ou encore Sarah J. Maass (Throne of Glass). Curieux, nous avons voulu lire l’édition américaine de ce roman qui jongle avec l’idée du voyage dans le temps : en bons fans de Retour vers le futur, c’est un thème qui nous intéresse beaucoup. Verdict…

Etta Spencer va bientôt donner le concert de sa vie : elle s’apprête à jouer du violon devant le tout-New York au prestigieux musée du Met, sous le regard de sa mère, Rose, et d’Alice, à la fois amie de la famille et professeur. Mais rien ne se passe comme prévu : la soirée vire au cauchemar, et Etta perd connaissance au terme d’une performance terrible, et d’une odieuse agression. Lorsqu’elle se réveille, elle découvre qu’elle n’est plus au Met en 2015… mais à bord d’un navire qui voyage sur l’Atlantique, en 1776. Le jeune capitaine Nicholas Carter et la revêche Sophia Ironwood ont pour mission de l’emmener voir le patriarche Ironwood, qui a une quête bien sûr difficile et dangereuse à lui confier…

Alexandra Bracken fourmille d’idées : elle a jeté les bases d’une histoire qui tient plutôt la route, en imaginant des voyageurs capables de passer d’une époque et d’un lieu à un autre en empruntant des passages. Certains de ces voyageurs sont dévorés par l’ambition ou l’appât du gain, comme ce fameux patriarche Ironwood, prêt à tout pour assurer la domination de sa lignée. Imaginez un peu ce que cette avidité peut donner quand on a les moyens d’aller et venir d’une époque à l’autre… Etta découvre tout cela lors de ce premier tome. Comme nombreux voyageurs, elle se laisse également griser par la possibilité de voir le monde tel qu’il était autrefois. Nous découvrons ainsi New York en pleine révolution américaine ou Londres sous le Blitz !

Bien sûr, le voyage dans le temps vient avec son lot de paradoxes potentiels, Alexandra Bracken édicte un certain nombre de règles pour éviter que le lecteur ne se dise « eh bien, si c’est comme ça, il suffit de revenir dans le passé ! ». Ça ne fonctionne pas trop mal.

Passenger, Alexandra Bracken

Globalement, c’est ce qu’on peut dire de Passenger : ça ne fonctionne pas trop mal, mais ça ne suscite par un enthousiasme débordant. On sent que l’auteur a voulu appliquer toutes les bonnes recettes qui font le succès des romans Young Adult taillés pour le cinéma. Par exemple, elle a veillé à ne pas produire de personnages trop manichéens : ceux qui sont méchants révèlent des fissures et des raisons d’agir qui se comprennent (à défaut d’excuser tout), et ceux qui sont en principe gentils s’avèrent en réalité implacables, prêts à toute les extrémités pour ce en quoi ils croient… Celui sur lequel elle a probablement passé le plus de temps, c’est bien sûr Nicholas Carter. Vous l’aurez deviné : notre beau capitaine de navire tombe sous le charme de notre héroïne, et vice versa. Nicholas a tout de l’homme idéal. D’une part, il est séduisant : l’emphase est mise sur ses larges épaules et sur les muscles qu’une vie de navigation lui a donné. Ensuite, il est courageux, et loyal. Il est même cultivé (il parle français !). Et c’est un pirate, heu, un flibustier ! Bonus, il sent bon, ce que l’auteur veille à nous signaler à maintes reprises. Mieux : il est torturé, et ce n’est pas un vain mot. Sans cela, notre Nicholas Carter n’aurait été qu’un avatar de plus du héros typique d’une romance Young Adult, un Jacob Black de plus. Mais ce qui est vraiment intéressant chez Nicholas Carter, c’est qu’il cherche sa place dans un monde qui lui est profondément hostile, pour deux raisons. Tout d’abord, Nicholas est un enfant illégitime, ce qui n’est déjà pas une situation enviable en 1776. Mais, il est en plus métis, le fils d’une esclave, et a passé les premières années de sa vie en servitude, en sachant que son père abusait de sa mère. Désormais employé bien malgré lui par les Ironwood, Nicholas essaie de prouver sa valeur et de construire sa vie dans un pays et à une époque où l’esclavage fait partie du quotidien. Une mauvaise rencontre, et il pourrait connaître le même sort que Solomon Northup, l’auteur de Twelve Years a Slave… Il doit vivre au quotidien avec le mépris des uns et la pitié des autres, et être jugé en permanence davantage sur sa couleur de peau que sur ses actions : résultat, Nicholas est dévoré d’ambition, et par le désir de s’accomplir, de prouver à la face du monde qu’il est au moins aussi capable que le fils légitime d’Ironwood, si ce n’est plus. Alexandra Bracken décrit avec beaucoup de justesse les sentiments ambivalents qu’il entretient aussi bien pour son pays que pour les Ironwood. Cela donne une profondeur certaine au personnage, et c’était bien joué.

Forcément, avec autant de qualités, Nicholas ne tarde pas à tourner la tête de notre jeune Etta. Celle-ci est un personnage assez déroutant : nous la découvrons plutôt effacée dans les premières pages, dévorée par l’angoisse et pas franchement charismatique. Dès que nous la voyons à travers le regard de Nicholas, en revanche, elle est effrontée, courageuse, et insolente, profondément inconséquente. Étonnant contraste. Elle n’est pas particulièrement attachante mais on la tolère. Sa romance avec Nicholas fera lever les yeux au ciel à la moitié d’entre vous, tandis que l’autre moitié sera probablement attendrie. À vous de nous dire !

Ce premier tome avait tout pour plaire, mais le pari n’est qu’à moitié tenu. Passenger se lit sans déplaisir, mais sans passion. Le tome 2 sera probablement déterminant : nous verrons s’il lisse les défauts du premier et s’il développe ses atouts.

Passenger, Alexandra Bracken. Quercus, 2016.

Ce roman paraîtra aux éditions Milan en février 2017.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

1 Commentaire

  1. Si c’est « sans déplaisir mais sans passion », je pense que je vais passer mon tour sur ce titre ! (Mais j’ai bien ri avec ce que tu dis des descriptions du capitaine)

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