Un roman multiple : Trilogie New-Yorkaise

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ROMAN AMÉRICAIN — La trilogie New-Yorkaise de Paul Auster aurait été refusée par dix-sept éditeurs avant de trouver enfin quelqu’un qui accepte de prendre avec lui le risque de la publication. Cela se comprend, car l’édition est un commerce frileux, même si ces dix-sept éditeurs étaient indéniablement dans l’erreur. De la trilogie, on peut certes dire qu’elle est assurément déconcertante. Mais pas que.

La trilogie se compose tout logiquement de trois romans courts, qui, en apparence, n’ont aucun lien les uns avec les autres. En apparence uniquement, car en réalité, ces trois histoires sont très liées. Elles se présentent comme des intrigues policières, mais assez rapidement, le thriller s’efface pour prendre une dimension philosophique, métaphysique.

Dans Cité de verre, nous rencontrons Quinn, un homme écrivant sous pseudonyme des histoires de détective. Un soir, le téléphone sonne. C’est un homme, qui cherche un détective  du nom de Paul Auster (tiens donc !). Quinn se fait passer pour ledit détective et se retrouve embarqué dans une histoire de filature qui se mue vite en en réflexion sur le continent américain et la Chute. Vous en dire davantage serait vous gâcher le plaisir de la lecture. Toujours est-il qu’on rentre très facilement dans l’histoire, même si l’on ne sait pas grand chose de Quinn. Quinn est un personnage à la recherche de son identité : il devient quelqu’un d’autre lorsqu’il écrit, puis endosse l’identité creuse du détective. Quinn cherche un sens à sa vie. N’est-ce-pas notre cas à tous?

Dans Revenants, un certain Monsieur Blanc engage le détective Bleu pour surveiller un monsieur Noir. Bleu se retrouve dans un appartement, à consigner les actes de Noir qu’il peut observer de sa fenêtre. Noir ne fait rien de ses journées, si ce n’est écrire et lire. Un étrange jeu de miroir se met en place entre les deux hommes.

Dans La Chambre dérobée, le narrateur reçoit une lettre de Sophie, l’épouse de son ami d’enfance Fanshawe, qu’il n’a pas revu depuis dix ans. Sophie l’informe que Fanshawe a disparu sans laisser de traces et qu’il a laissé une oeuvre littéraire considérable qui revient au narrateur. La relation entre Fanshawe, un personnage énigmatique, et le narrateur est au centre du roman : le protagoniste hésite entre un élan fraternel envers son meilleur ami, et une haine sourde et tenace envers celui qui était toujours meilleur que tout le monde.

Étonnant, et édifiant. Le lecteur ressort de ce livre chamboulé, en ayant l’impression qu’une partie de ce qui fait la grandeur de cette œuvre lui échappe. La maîtrise dont fait preuve l’auteur force l’admiration. Il y a tellement de thèmes à explorer dans ce livre que l’on ne sait où commencer. Doit-on évoquer en priorité le problème de l’identité ? Probablement. Les personnages d’Auster se cherchent et se perdent. Des éléments récurrents assurent le lien entre les romans : l’écriture semble être le point commun aux personnages. Des personnages traversent un, deux romans. Les références sont multiples, omniprésentes, aussi bien aux autres romans de la trilogie, mais également à la culture américaine.

Car c’est New-York qui se dessine au fil des errances des personnages. Une ville gigantesque, tentaculaire, où l’on peut se perdre, se fondre, disparaître, peut-être.

L’un des grands talents d’Auster, c’est sa maîtrise de l’art de la narration : bien que les intrigues soient plutôt banales, il parvient à les sublimer et à subjuguer le lecteur. Il entretient le mystère, laisse le lecteur dans une certaine hésitation. Le lecteur est pris d’emblée dans chacun des trois romans : tous laissent pensif, perplexe, parfois. Le temps passe, mais semble n’avoir aucune valeur. Des réflexions intéressantes et inattendues émaillent le récit : l’on se penche avec Stillman sur une vision messianiste de l’Amérique, et une nouvelle vision de la Chute et du mythe de la tour de Babel. L’on réfléchit également à l’écrivain : a-t-il une identité propre? Que lui apporte l’écriture? Et surtout, qu’est-ce qu’elle lui coûte? L’être humain s’efface au profit de l’auteur, notion abstraite.

Lisez ce livre. Peut-être vous donnera-t-il envie de partir pour New York. En tout cas, que vous aimiez ou pas, ce livre ne vous laissera pas indifférent. Pour nous, c’est un coup de cœur !

Trilogie New-Yorkaise, Paul Auster. Actes Sud, collection Babel, 2002. Traduit de l’anglais par Pierre Furlan.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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