Dès la première page, on sait que ce roman sera corrosif. On y trouve un adolescent de quinze ans, Desmond Pepperdine, qui écrit dans une orthographe plus qu’approximatif au courrier du cœur d’un tabloïd plein de scandales et de clébards écrasés. Il faut dire que Desmond a un gros problème : sa grand-mère, Grace, à trente-neuf ans, a encore de très beaux atouts, et il ne résiste pas à ses avances. C’est sexuellement merveilleux mais sans qu’il sache bien si tout cela est ou non passible de sanctions pénales et d’une mandale monumentale de la part de son oncle Lionel.
Desmond vient d’un quartier imaginaire de Londres, Diston, où l’espérance de vie est à peine supérieure à celle des pays du Tiers-Monde, fait d’entrepôts délabrés de matériel volé et de seringues d’héroïne. Sa mère est morte et son père inconnu ; peut-être le junkie complètement défoncé qu’ils ont un jour croisé au cours d’une promenade. C’est donc Lionel qui l’élève, cadet d’une fratrie de sept et prénommé ainsi parce qu’il n’y avait plus de prénom de Beatles disponible. Mais seulement lorsqu’il n’est pas en prison pour des actes de délinquance minables. Ils ont aussi deux chiens, adorables de méchancetés, élevés au Tabasco. Desmond ne peut pas dire qu’il soit malheureux car il a souvent droit à des repas de fête de délicieux poulet industriel au KFC.
Lionel Pepperdine a choisi de changer de nom pour porter fièrement celui d’Asbo, l’acronyme de Anti-social behaviour order. Bien qu’il ne soit pas très doué dans le vol, il est très respecté des petits loubards de Diston, ayant reçu sa première ordonnance restrictive à l’âge de trois ans, un record. Pour lui, une bonne éducation se passe de la littérature, qui pourrait pourtant attirer naturellement Desmond. Il préfère lui conseiller les sites pornos les plus excitants et les plus dégoûtants.
La vie de Lionel et Desmond change quelque peu lorsque l’oncle remporte quelques centaines de millions de livres sterling à la loterie. Même en claquant des fortunes au casino et dans les hôtels de luxe d’où il se fait renvoyer après environ une demi-journée, Lionel a de quoi vivre tranquillement son existence en buvant du champagne, la bière des riches. Et en alimentant régulièrement en scandales les tabloïds où Desmond finit par faire carrière, persuadé d’entrer dans la belle famille du journalisme.
Le sujet de Lionel Asbo, l’état de l’Angleterre est pour le moins décapant. Le risque était fort pour Martin Amis de faire preuve d’un voyeurisme digne d’émissions de télé-réalité, ou bien d’une complaisance malvenue pour les frasques de Lionel. Non, il n’y a pas dans ce livre de méthode détaillée pour bien arnaquer le système d’assurance chômage. Mais les personnages sont attachants et de bonne volonté, imprégnés d’un système de valeurs pourrissant mais qui les a toujours sauvés. Lionel est un bon garçon ; il envoie sa mère à qui il a à peine parlé depuis le début du XXIe siècle dans une belle maison de retraite perdue, tout au nord de l’Écosse. Frappée d’Alzheimer à quarante-cinq ans à peine et plus trop capable de remplir ses grilles de mots croisés, elle pourra terminer tranquillement sa vie difficile.
Il y a une sorte de bazar joyeux dans l’existence de la famille Pepperdine. Ils ne sont ni admirables ni condamnables, simplement les marqueurs d’une époque merdique et du sale état de l’Angleterre.
Lionel Asbo, l’état de l’Angleterre, Martin Amis. Gallimard, 2013.
Portrait de Martin Amis : Mike McGregor for the Observer
Par Antoine-Gaël Marquet
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