La Route du Cap est certes une romance, mais ce roman ne se limite pas à ce genre souvent dédaigné (à tort) par les lecteurs de la « grande littérature ». La Route du Cap comporte bel et bien des éléments de romance indéniables : mais c’est également un excellent roman historique sur la « ruée », non pas vers l’or, mais vers les diamants en Afrique du Sud, qui explore au passage la condition de la femme dans les années 1880. Grâce à des descriptions très visuelles et à un sens narratif indéniable, Jennifer McVeigh nous livre un roman très complet, et très réussi.
Le roman ne s’ouvre pas en Afrique du Sud, mais en Angleterre, où, Frances, une jeune fille de bonne famille, s’apprête à vivre une période particulièrement difficile de sa vie. Son père, considéré par les plus riches comme un parvenu, vient de mourir : mais avant de passer l’arme à gauche, l’homme est passé de l’opulence à la faillite. Frances pense alors pouvoir obtenir du secours de sa famille maternelle, riche et bien née, mais elle se voit opposer un refus net. Pour la jeune fille, le choix est sans appel : ou elle accepte de devenir domestique auprès de sa tante paternelle, perdant son rang et toute possibilité de mariage, ou elle accepte la demande en mariage d’un lointain cousin, Edwin Matthews, médecin désargenté établi en Afrique du Sud.
L’Afrique du Sud était alors pour bien des jeunes gens aventureux l’endroit où faire fortune. Le mythe du diamant que l’on trouve en retournant un cailloux faisait alors perdre la tête à bien des jeunes hommes, quelques trente ans après la ruée vers l’or en Californie. Pour Frances, l’Afrique du Sud n’est rien de moins que le bout du monde, une terre sauvage peuplée « d’indigènes » et dépourvue de toute vie sociale. Elle éprouve de l’aversion pour Edwin qui, à ses yeux, l’a contrainte au mariage. Il n’empêche qu’un jour, elle embarque à Southampton, direction le sud. A ses yeux, elle n’a pas le choix.
Mais à bord du paquebot qui l’emmène vers sa nouvelle vie, Frances fait une rencontre décisive en la personne de William Westbrook : il est beau, charismatique et ambitieux, a les faveurs de la bonne société et un portefeuille bien garni. Les deux jeunes gens se tournent autour jusqu’à ce que, sans surprise, Frances lui cède sa vertu sur une couchette du paquebot. Cependant, le mariage promis ne peut se faire, et Frances se retrouve bel et bien à l’autel avec Edwin. Mais la jeune femme ne songe qu’à William.
Commence alors pour Frances une nouvelle vie dans une maison au bout du monde, où elle n’a de contacts qu’avec son mari, l’unique bonne et les voisins. La chaleur est insoutenable, la poussière omniprésente, les insectes, nombreux. Les journées s’écoulent, longues et ennuyeuses. Edwin est médecin et se spécialise dans la variole, épidémie redoutable qui décime l’Afrique du Sud. Jeune fille autrefois oisive, Frances doit tout apprendre : faire la cuisine, la lessive ou assister son mari constituent son apprentissage au quotidien. Cette vie dans la crasse et la pauvreté ne lui convient bien sûr pas. Confrontée à la misère et à l’inhumanité du traitement des fameux « indigènes », Frances déchante. Par le biais des pamphlets rédigés par Edwin, et des scènes auxquelles assiste Frances, le lecteur du XXIe siècle découvre avec effarement la violence et la crudité du monde du diamant : les employés des mines atrocement blessés, les punitions disproportionnées en cas de vol de diamants, l’humiliation des fouilles permanentes pour prévenir ledit vol. Le racisme est omniprésent. Dans ce contexte, la jeune Frances, de crédule, devient progressivement plus avertie. Elle quitte peu à peu ses manières de petite princesse londonienne pour mettre les mains dans le cambouis.
Le cœur de Frances continue à balancer entre raison et sentiment, surtout quand William réintègre brusquement l’équation. A ses doutes s’ajoute la perspective terrible de faire le mauvais choix : sans mari, ou amant pour l’entretenir, que deviendrait la jeune femme, dans l’Afrique du Sud de 1880 ? Sans homme, elle perdrait son moyen de subsistance, et son statut social, et deviendrait dans le meilleur des cas une domestique. Jennifer McVeigh explore avec talent ce sentiment d’être coincé par le destin. Elle nous entraîne là où on ne s’attendait pas. Edwin et William ne sont ni tous blancs, ni tous noirs : Jennifer McVeigh rejette tout manichéisme et c’est d’autant plus appréciable. Elle signe une fin réussie, et émouvante juste ce qu’il faut.
La Route du Cap, Jennifer McVeigh. Le livre de poche, juin 2014.
Ooh j’ai justement acheté ce roman hier 🙂 Je n’ai fait que parcourir ton avis pour ne pas en apprendre trop sur l’histoire mais je suis ravie de voir que ton impression est positive !
J’ai hâte d’avoir ton avis 🙂
Ho ! je ne connaissais pas du tout, et je dois dire que je suis très emballée par ce roman. L’histoire pourrait fortement me plaire et ton avis, donne envie ! Merci beaucoup 🙂
Avec plaisir ! J’espère que ça te plaira autant que moi !
Acheté il y a quelques jours, tu me donnes envie de me lancer! 🙂
Je suis partie en voyage en Afrique du Sud début mars emmenant ce roman que j’ai adoré, C’est très bien écrit et je m’y suis un peu vue car je suis allée dans la région du grand Karoo où il faisait encore une chaleur d’enfer…
A quand le prochain roman de Jennifer Mc Veight??