Le Roi disait que j’étais diable : le roman d’Aliénor

Aliénor d’Aquitaine est sans conteste une des figures historiques les plus fantasmées et les plus légendaires de l’histoire médiévale française. Ses cheveux de feu, sa liberté, sa puissance, en ont fait une véritable légende, celle de la reine qui fut l’épouse d’un roi de France, puis d’Angleterre. Clara Dupont-Monod, journaliste, semble s’être éprise du Moyen-Age : on se souvient notamment de son roman La Passion selon Juette, un portrait de femme libérée avant l’heure, qui refuse le rôle que la société lui a donné. Aliénor est une autre figure de femme forte, qui s’impose dans un monde d’hommes.

Dans Le Roi disait que j’étais diable, nous suivons Aliénor de son mariage avec Louis VII, le « moine » : elle n’a que treize ans, mais déjà un caractère bien trempé. Autre temps, autres mœurs : à treize ans, on est déjà femme. Et Aliénor sait déjà mener son jeune époux par le bout du nez. Louis VII tombe fou amoureux de sa jeune compagne, mais celle-ci le méprise, le trouve faible et lui refuse sa couche. Capricieuse, rapidement odieuse, Aliénor pousse son époux à la guerre, aux massacres, portant aux nues une virilité guerrière et sanglante et rejetant la piété de son époux, ce roi qui ne devait pas être monarque, mais homme d’église.

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Ce couple autodestructeur prend la parole tour à tour : on y découvre la fureur et l’égo surdimensionné d’Aliénor, et l’amour désespéré que lui voue son époux. La rencontre de ces deux conjoints a tout du choc culturel : Aliénor semble avoir un pied dans l’Orient, tandis que Louis VII est homme du Nord. Fille du sud, elle aime les tentures en tissu précieux, les épices, les chants, la fête. Elle amène à Paris une flopée de troubadours qui conversent légèrement dans la chantante langue d’oc et chantent à tout va. Comparée à la douceur de vie bordelaise, la vie à Paris est terne, froid et crasseuse et semble plongée dans un hiver perpétuel. A Antioche, le couple semble vivre une parenthèse dorée, dans un Orient rêvé à la douceur de vivre et au raffinement indéniables.

Clara Dupont-Monod porte un regard moderne et psychologue sur ce couple : si elle parvient à recréer l’époque avec un certain talent, en quelques descriptions bien senties et en scènes de batailles épiques, le récit manque de cette délicieuse densité historique qui me plait tant d’ordinaire dans les vastes fresques historiques. L’ancrage historique semble moins important que les relations que les personnages entretiennent entre eux : rivalité, méfiance et jeux de pouvoir sont au programme. Aliénor nous apparaît moins comme une reine que comme une adolescente désagréable à la trop haute image d’elle-même. Odieuse, elle empoisonne la vie de son époux, dont le désarroi devient touchant. Encore un roi perdu face à la tâche qui l’attend, fédérer tout un pays… Il n’était pas fait pour être monarque mais si d’autres cadets ont su tirer leur épingle du jeu (tel Henry VIII en Angleterre), Louis VII patauge, accumule les mauvaises décisions telle la désastreuse deuxième croisade, tente de s’imposer mais ne réussit qu’à donner l’image d’un homme manipulé par son épouse.

Clara Dupont-Monod nous livre une vision intéressante d’un personnage au nom connu de tous, mais dont la vie réelle nous est généralement inconnue. Les sentiments de ses deux personnages principaux prennent vite le pas sur l’enchaînement des événements et sur le quotidien de monarques au XIIe siècle. Le résultat est un roman un peu bavard, mais ce n’est pas déplaisant, on ne nous entraîne pas sur des chemins balisés, et c’est en somme rafraîchissant.

Le roi disait que j’étais diable, Clara Dupont-Monod. Grasset, 2014.

Par Emily Vaquié

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

4 Commentaires

  1. Un bon souvenir de lecture pour moi, l’auteur excelle à créer les voix de ses personnages! Ce roman apparaît sur plusieurs listes de prix littéraires; affaire à suivre donc.

  2. J’ai vraiment adoré ce roman, il est vrai que finalement c’est moins l’aspect historique qui prévaut, mais je dois avoue que les quelques petites pointes de descriptions m’ont parfaitement aidé à entrer dans le récit qui à pris vie sous mes yeux. J’ai beaucoup apprécié les personnages, et cette d’histoire d’amour à contre-temps…

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