Pièce en 5 tableaux, dont la qualité et l’intérêt inégaux trahissent cette chorégraphie audacieuse et bien huilée…
Le concept de faire danser nus des hommes et des femmes différents en tout point, de mettre ainsi à l’honneur le corps dans sa plus simple expression relève du génie. Il fallait oser !
Lorsque les danseurs entrent sur scène, un murmure silencieux fait bruisser la salle, une sorte de tension inextricablement mêlée à une curiosité quasi malsaine nous fait écarquiller les yeux, dilater les pupilles, saliver les papilles… Puis, la chorégraphie prend le dessus, passé l’étonnement, le premier tableau installe une routine qui fait oublier les corps glabres, l’œil s’habitue et le spectateur peut enfin « voir » la chorégraphie.
Un va-et-vient incessant entre le début – délimité par un immense rideau à franges – et la fin de la scène ; le pas décidé, presque militaire, le regard fixe, le visage fermé. Traçant des parallèles – ces lignes qui, par excellence, ne se rencontre jamais – les danseurs mettent en exergue des chemins individuels, fixés sur un objectif : ne pas s’arrêter quoi qu’il arrive, avancer toujours, une pause de quelques secondes à un moment donné, une hésitation millimétrées, un regret orchestré puis l’homme ou la femme repart inexorablement entraîné par la routine qu’il ou elle a installé depuis tant de minutes déjà !
La scène devient, par ce mouvement (que de la musique minimale, parfois entraînante, parfois lancinante accompagne) un balancier géant, le désintérêt des spectateurs augmente, papable par leurs changements de position, ses tortillements, se souvenant d’un coup à quel point les fauteuils sont inconfortables… Et soudain, tout s’arrête, pour laisser place au second tableau, puis au troisième et ainsi de suite… Tous construits sur le même schéma de la répétition et de la variation, schéma propre de la tragédie où le héros pense, espère que l’événement central va le sauver alors qu’il ne fait que précipiter sa chute, et accélérer la situation déjà présente. Sur le plateau, à chaque variation, la répétition devient plus forte, plus puissante, à la manière d’une fugue.
Lors que l’on sait que tragédie en Grec signifie « le chant du bouc », on ne peut s’empêcher de sourire… au chant du bouc, Olivier Dubois substitue la danse du bouc… Il démontre qu’il ne suffit pas d’intituler ainsi une chorégraphie pour en faire une pièce tragique, il s’approprie plus qu’un mot, il lui insuffle la vie, l’enveloppe de chair et le livre en pâture aux spectateurs du 104. Ne serait-ce que le canevas de Tragédies qui reprend la construction protase – acmé – apodose, propre à la tragédie racinienne. Ne serait-ce que dans la façon de traiter l’acte sexuel, paroxystique, mis en scène avec une force rare, tout en gardant une certaine distance – les danseurs et les danseuses sont à plus d’un mètre les uns des autres – comme le feraient les dieux grecs voyant les Hommes se débattre et les observant d’un œil amusé.
Outre la dimension chorégraphique et poétique, Tragédies est une véritable catharsis, par sa violence certes mais aussi par cette nudité, crue et sans artifice, qu’elle offre au regard du public. La société contemporaine – sans faire de raccourci bien évidemment – a un besoin réel de ce genre d’œuvre où le corps n’a pas de fonction esthétique mais purement expressive. Le choix de mettre en mouvement des corps si différents ne peut pas passer inaperçu à l’heure des retouches numériques et du culte de l’image…
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