Sandra Chérès – Opening#1 – INT/NUIT

Photo : http://www.barnes-blog.com/

Un escalier, aux pans graffés par Arthur Simony, se dérobe aux yeux du public, s’enfonce sous terre et dévoile – bougies à l’appui – l’antre de l’artiste. Parois d’un blanc approximatif, cache-misères et infiltrations font de ce lieu hors du commun un écrin de choix pour les créations de Sandra Chérès. Des yeux médusés, hésitants, ou déjà fureteurs scannent l’espace qui s’offre à eux ; sous son regard à elle : amusé et bienveillant. On se demande qui est le spectateur de qui ! Mise en abyme de présentation faite, les corps se mettent enfin en branle et circulent parmi les œuvres : caisses de tableaux, palettes transformées en tables basses, boîtes en plexiglas contenant des formats 10x10cm, vidéo d’Eric Betschart projetée au mur, piles de Paris Match à n’en plus finir… A l’hésitation se substitue une curiosité toute enfantine, le charme opère…

A travers ce dédale, on découvre l’univers d’une artiste mais aussi d’une femme. C’est dans ce lieu que tout se passe : le bouillonnement d’idées, les essais, l’enthousiasme, le peaufinage, les questions, la passion, les doutes… la patience. Comme si elle voulait apporter un contrepoint à sa dernière série (des petits formats recouverts de tissus résilles), Sandra se dévoile avec courage, c’est-à-dire avec tout son cœur, et laisse entrer l’inconnu dans cet atelier à l’allure mystique.

Paris Match, Noir & Blanc, Cinémonde, autant d’univers surannés – Paris Match n’étant décidément plus ce qu’il était – qui constituent la matière première des tableaux de Sandra Chérès. A partir du papier de ces journaux, d’une photo plus exactement, qui l’interpelle et qu’elle déchire et colle, elle crée un nouveau cadre, donne une nouvelle vie à de vieux papiers oubliés destinés à la poubelle ou à la cheminée dans le meilleur des cas. Le support trouvé, Sandra assemble des mots repérés eux aussi dans ces journaux, forme des phrases, délivre des messages explicites et nets ; tenant plus de l’uppercut que de la Sybille : «Tout est possible ! ». Les mots et les images se répondent et se fondent en une seule entité qu’un amas de couleurs vives vient illuminer, le fond est souvent noir, mais jamais uniforme. Entre la conteuse et la plasticienne, son univers – forgé à coup de failles et de déchirures – fascine par l’éclat et la délicatesse qu’il laisse entrevoir.

Se réparer avant tout ! Avec la peinture comme onguent. La profondeur et la gravité en filigrane ne passent pas inaperçues – l’utilisation quasi systématique de la figure féminine non plus ! Brigitte Bardot, Romy Schneider, Audrey Hepburn, des anonymes aussi, autant d’effigies coincées dans leur statut d’icône du cinéma, qui se sont débattues pour vivre et n’ont fait que survivre. Sorte de héraut de leur condition, Sandra leur donne l’opportunité d’une seconde vie, immuable et sereine, sur les murs des foyers qu’elles n’ont jamais réussi à construire…

L’une de ses dernières séries, remet en question la place de l’objet de décoration dans l’art. Elle travaille sur le plus petit châssis qu’on puisse trouver (10x10cm), l’habille de journaux selon le procédé habituel, parfois l’enveloppe de bas résille qu’elle cloue puis place avec trois compagnons de fortune – créés de la même façon – dans une boîte en plexiglas, clouée elle aussi. La fonction ornementale est évidente, et pourtant, on ne se lasse pas de toucher, observer, retourner cet objet précieux tout en transparence, lequel a cette particularité de laisser voir au public les ficelles du travail de l’artiste ; se rapprochant par là de l’artisan. Sandra ouvre là une porte trop rarement laissée fermée : rendre l’art plus accessible à la fois par cette esthétique singulière, et par cette nouvelle échelle, le positionnant ainsi comme un bibelot loin d’être d’« inanité sonore ».

Peut-être est-ce pour cela que son travail nous touche tant, il nous ressemble : la simplicité apparente révèle un enchevêtrement délicieux lorsque l’on se rapproche et que l’on se penche sur les détails. De même que l’être humain ne se dévoile jamais à la première rencontre, son œuvre se donne puis s’échappe lorsqu’on s’approche un peu trop. D’ailleurs, l’utilisation du bas résille n’est pas innocente, il suggère et révèle – verbe des plus ambigus signifiant également « re-voiler » – tout en cachant. Or c’est cela, la relation à l’art, une simultanéité de l’abandon et de la retenue, un mouvement incessant entre la compréhension et l’incompréhension, on croit saisir le sens et tout d’un coup il s’échappe…
Sandra se donne à chaque nouvelle œuvre, inlassablement. La vente d’un tableau est, chaque fois, l’occasion d’une rencontre, d’un échange, d’une communion, à l’image de cette « sainte prostitution de l’âme » exaltée par Baudelaire dans « Les Foules » (Le Spleen de Paris, XII, 1869). Créer du lien n’est pas donné à tout le monde… Qu’il soit horizontal et relie les Hommes entre eux ou vertical par une interaction constante entre monde intelligible et monde sensible, le fil Chérès, sorte de travelling universel et invisible dans un film au budget inépuisable, n’est pas prêt de rompre !

Sandra Chérès a exposé ses œuvres du 10 avril au 7 mai 2014 à la Little Big Galerie.

Par Gwendoline HELLOT

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.