Dans Lignes de vie, le fantastique s’invite à petits pas. De prime abord, le roman de Graham Joyce ressemblerait presque à du Kate Atkinson : nous voilà plongé dans une chronique familiale de premier plan, dans un contexte déjà bien balisé, l’après-guerre. Lignes de vie fait la part belle aux relations entre les sept filles de Martha Vine, matriarche impressionnante, qui veille sur sa couvée avec férocité et bienveillance. Une fratrie de sept personnalités bien distinctes : Aida, l’aînée, avec son mari qui ressemble étrangement à un cadavre (et il est de fait embaumeur), les jumelles, restées vieilles filles, et obsédées par le spiritisme, Una et son époux Tom, fermiers, Olive et William, épiciers, Beatie, l’intellectuelle de la famille, et enfin Cassie, la fantasque du groupe…
Cassie est la sœur autour de laquelle toutes gravitent. Parce qu’elle est instable, un peu folle et légèrement nymphomane, mais terriblement attachante, Cassie cristallise les inquiétudes de toute la famille. Lorsqu’elle met au monde une petite fille après le bombardement de Coventry, Cassie donne l’enfant à une famille… et tout le monde s’accorde à dire que c’est pour le mieux. Mais lorsque Cassie récidive quelques années plus tard – un petit garçon cette fois -, elle ne peut se résoudre à l’abandonner.
Frank grandit donc ballotté entre les sœurs Vine car, une nouvelle fois, tout le monde s’accorde à dire que Cassie n’est pas assez responsable pour assumer son rôle de mère. Les soeurs Vine se repassent donc le paquet (Cassie et son fils) au fil des années. Le jeune Frank découvre des modes de vie très différents les uns des autres, de l’expérience communautaire vécue par sa tante Beatie au domicile de ses tantes férues de spiritisme, en passant par la vie au grand air dans la ferme d’Una et Tom.
Où est le fantastique dans tout ça ? Il s’invite peu à peu dans le récit. Il devient assez rapidement clair que Martha, l’imposante matriarche, voit « des choses ». Des apparitions viennent parfois frapper à la mort… au grand dam de Martha, qui préférerait ne pas avoir ce don de deuxième œil. Un étrange talent dont ont hérité Cassie et Frank…
Si la force de Lignes de vie réside assurément dans le portrait très réussi d’une famille dans le contexte pesant de l’Après-guerre (reconstruction, rationnement, traumatisme de la guerre,…), le fantastique n’est pas à négliger, il est d’une subtilité rare. Graham Joyce nous livre quelques très belles scènes, dont celle du bombardement de Coventry, baigné d’un onirisme indéniable, dans laquelle la frontière entre vie et mort se fait des plus floues.
Un très beau texte, assurément, servi par une traduction impeccable, signée Mélanie Fazi.
Lignes de vie, Graham Joyce. Folio SF, 2015. Traduit de l’anglais par Mélanie Fazi.
Par Emily Vaquié
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