Chronique familiale qui court sur plusieurs décennies, Les Forrest s’ouvre sur un déracinement familial, l’ébauche d’un nouveau commencement. En 1970, les parents de Dorothy, la jeune héroïne, décide de quitter « le centre du monde » (comprendre New York) pour une nouvelle vie en Nouvelle-Zélande. Pour Dorothy, Eve, Ruth et Michael, c’est une nouvelle vie qui commence dans un pays au bout du monde. Bientôt, un nouveau membre rejoint la fratrie : un ami de Michael, Daniel, s’installe sans tapage chez les Forrest. Cette rencontre sera déterminante pour la vie de Dorothy.
Il faut dire que la jeune Dorothy s’efforce de grandir dans une famille plutôt dysfonctionnelle et anticonformiste : le père est insouciant (pour ne pas dire irresponsable) et se rêve artiste, tandis que la mère succombe aux idéologies hippies de la décennie et emmène même les enfants vivre dans une communauté féministe pendant un temps. Bientôt, les souvenirs de la lointaine Amérique se ternissent et deviennent un doux rêve. La Nouvelle Zélande devient la nouvelle réalité de la famille, et Daniel, un élément incontournable du quotidien. Dans ce contexte hautement instable et bancal, chacun des enfants essaie de se construire, avec plus ou moins de succès.
Devenues adolescentes, Dorothy et Eve tombent bientôt amoureuses de Daniel, ce garçon avec qui elles ont grandi et qui est devenu comme un frère incestueux. Un brin rebelle, et impossible à cadrer, Daniel a tout du bad boy qui ravit les cœurs. Toute sa vie, Dorothy croisera Daniel et continuera de le porter dans son cœur, regardant de loin ses dérives. Cette absence pèsera sur son existence jusqu’à la fin. Il émane d’ailleurs de ce récit une incroyable sensation de gâchis. Daniel et Dorothy se cherchent mais ne se trouvent pas, ils construisent leurs vies aux antipodes l’un de l’autre. Ils se retrouvent parfois mais entre eux pèse le poids des années et des non-dits, ce qu’Emily Perkins illustre grâce à de nombreuses ellipses. Ce sont bien souvent de courts instants de vie, en apparence anodins, qui nous sont montrés. Cela peut déstabiliser quelque peu le lecteur, qui doit combler les trous et deviner ce qu’il s’est passé entre temps. Il voit Dorothy devenir adolescente, épouse, mère de famille, il la voit même tristement vieillir, seule avec ses souvenirs.
Servi par un style dépourvu de fioritures, Les Forrest est une histoire de famille qui se dévoile par le biais de brefs instantanés pris sur le vif, pour former un incroyable puzzle beaucoup plus vaste qu’il n’y paraît de prime abord. On s’attache au destin de Dorothy, d’Evelyn et de Daniel et on regarde avec nostalgie le temps passer dans leur vie et effacer peu à peu leurs rêves.
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