Figurez-vous un monde dans lequel tout risque a été prévu, analysé, neutralisé : un monde dans lequel chaque citoyen est élevé dans du coton, protégé du monde extérieur autant que faire se peut. Nous sommes aux Etats-Unis, en 2074. Bo, notre héros, a du mal à se faire à ce monde aseptisé : s’il n’a pas connu le monde d’avant, il entend souvent son grand-père lui parler d’un époque où l’on pouvait courir sans être entravé par tout un équipement de protection et insulter quelqu’un sans risquer de se retrouver aussitôt en prison.
Car c’est un peu le problème de Bo : il est sanguin, prompt à s’énerver, comme son frère et son père, tous deux dans des camps de travaux forcés. A la moindre incartade, le système vous juge et peut vous confier à une des multinationales chargées de la réinsertion des détenus (McDonald’s ou Coca-Cola en tête) où vous vous retrouvez à trimer des années durant.
Notre héros a beau essayer de se calmer, de conserver son sang-froid en toutes circonstances, il finit par être condamné à son tour et envoyé au Canada, dans une usine isolée qui produit des pizzas à la chaîne. Contrôlé par un chef tyrannique et obsédé par le football américain, le camp où échoue Bo est isolé et cerné par des ours assoiffés de sang qui empêchent toute évasion.
Ce qu’il faut savoir avant tout c’est que le football américain, sport violent et dangereux par excellence, où nez cassés et dents fêlées sont légion, a été interdit dans le monde futuriste imaginé par Pete Hautman. Pourtant, dans cette usine coupée du monde, le football américain, c’est la seule chose qui peut améliorer l’ordinaire. Si vous êtes pris dans l’équipe, de nombreux privilèges vous attendent : des heures de travail plus souples, des vêtements plus sympas, un menu alimentaire plus varié… Mais la passion du grand chef peut virer à l’obsession… au détriment des joueurs.
C’est une chouette dystopie que nous propose Pete Hautman. Centrée sur le personnage de Bo, elle ne développe pas vraiment le monde dans lequel il vit, mais n’en demeure pas moins très intéressante, étudiant les dérives d’un système privilégiant la sécurité à la liberté. Comme le fait remarquer Bo, autrefois, la liberté était une des choses qui définissait le fait même d’être américain (« On en faisait toute une histoire au XVIIIe siècle, pendant la guerre d’Indépendance, tout un plat pendant la guerre de Sécession, et pour tous les autres conflits qui ont suivi. On a même composé des chansons sur la liberté. Aux Etats-Unis, la chose la plus importante était d’être libre et de réaliser ses rêves. »), désormais le mot d’ordre c’est plutôt « à quoi ça sert d’être libre si on meurt ? » (p. 73). La réflexion est vraiment intéressante : Bo ne parvient pas à se conformer au système. Et au vu du nombre d’incarcérations chaque année, il ne semble pas être le seul… Mais bien sûr, le gouvernement ne songe pas qu’au bien-être de ses citoyens : on comprend bien vite que c’est bien pratique pour les multinationales de disposer d’une main d’oeuvre gratuite et nombreuse, corvéable à merci… et dont les journées de travail peuvent durer jusqu’à seize heures ! C’est de l’esclavage, avec tous les aspects de la vie carcérale en sus : les prisonniers vivent en cellules, n’ont aucune intimité, ne peuvent communiquer avec leur famille qu’à des horaires définis… C’est de ce point de vue une dystopie très intéressante, et plutôt originale.
Le petit bonus de ce roman est probablement la présence de l’identité virtuelle de Bo, créée pour un devoir et qui prend peu à peu son indépendance ! Les dialogues que Bo entretient avec son ami en ligne sont pour le moins savoureux !
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