André Georgi est auteur de nombreux scénarios de séries policières pour la télévision. Avec Tribunal, il signe un premier roman très sombre, évoquant la guerre civile en Yougoslavie.
Au terme d’une longue enquête, Jasna Brandič, des forces spéciales internationales, est parvenue à mettre la main en Albanie sur un témoin capital pour l’accusation dans le procès de Marko Kovać. Celui-ci, ancien chef d’une unité élite de l’armée serbe appelée « les Loups », est incarcéré à La Haye pour comparaître devant le Tribunal pénal international, pour répondre de crimes de guerre et contre l’humanité perpétrés pendant la guerre en Bosnie.
Le jour de l’audition est enfin arrivé. Jasna est sous pression. Il est capital que son témoin paraisse devant les juges. Jasna est exténuée, mais il lui reste un petit effort à faire, pour clore 17 mois de lutte acharnée. Mais arrivés au tribunal, rien, absolument rien ne se déroule comme prévu.
Jasna est abattue. Mais elle se reprend et retourne en ex-Yougoslavie sur les traces des lieutenants de Kovać qui, du fond de sa cellule, nargue tout le monde et tire les ficelles. L’objectif ? Apporter des preuves irréfutables au Tribunal. Mais le chemin est semé d’embûches. Les Loups sont des vieux de la vieille, suréquipés et ils semblent bénéficier du soutien de la population, mais aussi et surtout de personnes bien trop haut placées…
Voilà un roman terriblement noir et sombre. Dès l’introduction, le ton est donné. Jasna a peur et, au vu des événements, elle a bien raison. Rapidement, le lecteur prend peur, lui aussi. Qu’est-ce que c’est que ce criminel de guerre (accusé d’avoir tué 3 953 personnes après les avoir violées, torturées) qui défie la justice depuis son box et… y arrive ?! Dès les premiers chapitres, on plonge dans une ambiance non pas malsaine, mais certainement terrifiante.
Et la suite est à l’avenant. Car le périple de Jasna n’aura rien d’une balade tranquille. Elle va devoir donner le meilleur d’elle-même, subir des épreuves innommables et trouver la force de s’en relever. Alors, on ne le cachera pas : c’est quand même un peu gore par moments. Âmes sensibles s’abstenir ! Mais, du même coup, on peut dire que l’ambiance est aux petits oignons : on s’y croirait, on tremblote devant son livre et on a très envie que le jeu se calme – ce qui n’est malheureusement pas au programme.
Cette ambiance est soulignée par des dialogues qui ne se démarquent absolument pas du texte – si ce n’est pas un discret alinéa. Immersion garantie. La plume d’André Georgi happe le lecteur (malgré quelques écueils, peut-être dus à la traduction ?) et le laisse sans répit, surtout vu la précision de ses descriptions.
Mais le gros point fort du roman, c’est le contexte historique, politique et social qui le sous-tend. Cette guerre dont on a, finalement, peu parlé, a fait des milliers et des milliers de victimes parmi les civils. Et André Georgi remet tout ça en place avec brio. « Epuration ethnique », utilisation du viol comme arme de guerre, méfaits divers et variés, soutien de la population aux criminels (parce qu’ils sont du bon côté de la frontière), misère… tout y passe. Et si c’est révoltant, l’auteur joue avec le fil du rasoir d’un bout à l’autre : il montre sans juger, dévoilant toute la complexité et l’ambiguïté des situations. L’ambiance est magistrale.
A cela il faut ajouter des personnages hauts en couleur et campés avec talent. Eux aussi, ils oscillent sur le fil du rasoir. Et l’auteur n’a aucune pitié envers eux. Mais là où cela devient excellent, c’est que malgré des valises extrêmement lourdes à porter et des antécédents à faire hurler, il ne campe pas des personnages assoiffés de vengeance aveugle. Non, loin de là. Ils réfléchissent, dressent des plans stratégiques, agissent en conséquence. Et sans faire preuve d’héroïsme imbécile. En deux mots ? C’est extrêmement réaliste et d’autant plus crédible.
Tribunal, donc, est un thriller implacable, assez court, mais ô combien intense. Si les crimes de guerre et l’évocation de la torture (avec moult détails) vous donnent de l’urticaire, passez votre chemin. Mais si vous osez soulever la couverture, vous trouverez là un roman de bonne facture, terriblement prenant, affreusement réaliste, mettant en scène la traque d’un criminel de guerre sur fond de guerre civile en ex-Yougoslavie.
Tribunal, André Georgi. Traduit de l’allemand par Leïla Pellissier. Piranha, 17 septembre 2015.
Soyez le premier à commenter