ROMAN SULFUREUX — Peyton Place. Qui aurait cru que le nom d’une petite ville fictive du Maine aurait fait couler autant d’encre ? Véritable phénomène éditorial, Peyton Place a été l’objet d’un véritable scandale. Jugé amoral et vulgaire, ce roman est devenu une véritable légende dans le milieu littéraire. Lorsque, cette année, les presses de la cité ont décidé de le rééditer, nous nous sommes dit que c’était l’occasion ou jamais de vérifier ce qu’il en est.
Alors, scandaleux, Peyton Place ? Clairement pas aux yeux du lecteur de 2015, qui en a vu depuis des vertes et des pas mûres, avec ne serait-ce que la sortie de Cinquante nuances de Grey… Cependant, lorsque Peyton Place est sorti en librairie en 1956, le roman de Grace Metalious contenait tous les ingrédients pour choquer l’Amérique puritaine… Peyton Place nous montre en effet la vie d’une petite ville sur plusieurs années, dans tout ce qu’elle peut avoir de charmant comme de sordide. En effet, Grace Metalious ne néglige rien et dépeint avec beaucoup de justesse le quotidien d’une bourgade de la Nouvelle-Angleterre dans les années 30 et 40, des petits vieux qui cancanent sur la place de la ville aux pensées de l’institutrice désabusée, en passant par les dessous du conseil d’administration de la ville. Grace Metalious donne vie à une multitude de personnages divers et variés, parmi lesquels le docteur bienveillant, le journaliste insouciant, les ivrognes de service, la folle du coin, mais se concentre tout particulièrement sur un trio de femmes : Allison, Constance et Selena.
La première est la fille illégitime de la deuxième, qui s’efforce depuis des années de sauvegarder les apparences, et se fait passer pour une veuve bien sous tous rapports, tremblant de peur à l’idée que l’on évente son secret. La troisième est une amie d’Allison : elle vit dans « la zone », sorte de bidonville crasseux, où elle subit les violences d’un beau-père très porté sur l’alcool.
Qu’y a-t-il de si choquant dans l’histoire de ces trois femmes ? Probablement leur envie de liberté, et leur rapport à la sensualité. En 1956, la liberté sexuelle des femmes n’a bien entendu rien d’acquis. Toute la vie de la jeune Allison pourrait être ruinée si on apprenait que sa mère a eu autrefois une liaison avec un homme marié. Plus âgée, Allison refuse le mariage, qu’elle juge « débilitant », et proclame à qui l’écoute qu’elle prendra de nombreux amants. Elle choisit de plus de se livrer à une profession artistique, écrivain, plutôt que de devenir mère au foyer comme ses amies. Selena, elle, revendique le droit de disposer librement de son corps. Les thématiques du roman de Grace Metalious sont finalement très modernes.
Elle n’hésite pas par ailleurs à jeter un pavé dans la mare en évoquant des thèmes très variés comme l’inceste, l’alcoolisme, le viol, la folie, les violences conjugales, l’avortement… La petite ville de Nouvelle-Angleterre n’a plus rien d’idyllique. On comprend que les habitants du Maine aient été autant vexés par Peyton Place, jugé pervers et indécent ! Pensez-vous ! Grace Metalious montre que la Nouvelle-Angleterre n’est pas aussi irréprochable et austère qu’on le pense, et que ses habitants ont le sang chaud. Pour une région réputée pour son puritanisme, on comprend que le choc ait été important !
Cependant, vu à travers les yeux d’un lecteur de 2015, Peyton Place n’a plus rien de scandaleux : ne demeure plus qu’une chronique sociale plutôt fine, qui alterne les anecdotes et nous donne presque l’impression de faire partie de cette petite communauté. Peyton Place a peut-être perdu de son côté sulfureux, mais pas de son intérêt : on se régale !
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