ROMAN — En cette rentrée littéraire 2015, Anna North nous livrait un premier roman fascinant autour d’une personnalité excentrique et solaire, Sophie Stark…
Depuis l’enfance, la cinéaste Sophie Stark ne fait rien comme tout le monde. Si elle produit des films d’une grande justesse, elle semble ne pas comprendre le reste de l’humanité et manquer singulièrement de sensibilité. Alors qu’elle devient peu à peu l’étoile montante du cinéma indépendant américain, elle étonne plus que jamais. Qui était-elle vraiment ? Quel impact avait-elle sur ses proches ? Anna North donne voix à plusieurs personnages qui racontent les instants qu’ils ont passé avec Sophie Stark. Allison ouvre le bal : Sophie en a fait sa muse, et lui a donné une ambition, un rêve. Puis, c’est au tour de Robbie, le frère de Sophie, de mettre en lumière un événement fondateur de la toute jeune carrière de Sophie. Vient le témoignage de Jacob, un musicien qui a engagé Sophie afin qu’elle réalise son clip… Daniel est le suivant : il fut l’objet du tout premier film de Sophie, et a autrefois eu une brève aventure avec la jeune femme. Enfin, dernier à s’exprimer, George, producteur hollywoodien à la dérive, raconte comment Sophie Stark a influé le cours de sa carrière. En parallèle, le lecteur découvre des articles de presse signés par un journaliste, Ben Martin, qui, d’anodins, pourraient bien avoir en réalité un écho tragique dans la vie de Sophie.
Sophie Stark. Personnage énigmatique, incompris, asocial, l’héroïne du roman d’Anna North est perpétuellement déphasée, entièrement consumée par son art. Pour un film, Sophie est prête à tout, y compris à blesser son entourage, y compris à s’adonner aux actes les plus extrêmes : elle porte l’esthétisme au rang de priorité vitale, est prête à sacrifier ses amis et ses amours sur l’autel du « beau ». Le lecteur la verra évoluer d’enfant bizarre et socialement inadapté, brimé par ses camarades, à cinéaste respectée et vantée pour l’émotion qui se dégage de ses films. Anna North construit avec brio une personnalité complexe, égoïste et pourtant lumineuse, qui nous fait passer par toutes sortes de sentiments ambivalents tout au long du roman.
Il faut dire que nous découvrons Sophie à travers le filtre de plusieurs regards : le frère, le futur mari, l’amour de jeunesse, la maîtresse ou encore la simple relation de travail. Si tous portent un regard qui leur est bien sûr propre, on sent la fascination sourdre de chacun de leurs témoignages. Certains de ces seconds rôles sont sympathiques, d’autres beaucoup moins. Si le récit d’Allison, qui ouvre le roman, happe le lecteur en l’espace de deux lignes, c’est probablement le personnage que l’on apprécie le moins. Sans Sophie, on la sent vide, creuse, en quête désespérée d’attention. C’est Sophie qui lui donne sa substance. A l’inverse, Daniel est un personnage qui nous touche énormément. Ancien athlète prometteur, et star de la fac, Daniel renoue avec Sophie au moment où, très diminué après un accident de voiture qui lui a coûté une jambe, il envisage les pires extrémités…
Anna North se montre très douée lorsqu’il s’agit de donner une véritable voix à chacun de ces personnages : elle sait débusquer l’insolite, nous narrer quelques anecdotes fondatrices pour chacun de ses protagonistes. Ce roman choral est magistral. Découvrir les coulisses du cinéma indépendant à travers les rôles de ces différents personnages (actrice, commanditaire, producteur, critique ou encore simple spectateur) s’avère également des plus intéressants. L’éclairage régulier de l’oeuvre de Sophie à travers les critiques de Ben Martin achève de produire un portrait très complet de cette héroïne somme toute insaisissable.
En somme, Vie et mort de Sophie Stark séduit, et surprend : ce premier roman témoigne déjà d’un talent indéniable, et Anna North s’inscrit indéniablement au panthéon des primo-romanciers à suivre !
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