De si parfaites épouses : panique chez les Desperate Housewives !

POLAR BANLIEUSARD — Detroit, juin 1958. De si parfaites épouses nous plonge dans la vie d’un quartier, Adler Avenue et plus particulièrement, dans le quotidien de ses femmes au foyer, ces « si parfaites épouses », toujours tirées à quatre épingles, veillant à la bonne tenue de leur foyer, à défaut d’avoir des enfants à surveiller. Car c’est un peu ce qui faisait défaut dans ce quartier de Detroit… Les Herze n’ont jamais eu. Les Wagner ont perdu le leur trois ans auparavant et portent encore le deuil. Quoi de plus triste qu’une rue pavillonnaire où ne résonnent jamais des rires d’enfant ? Mais Alder Avenue commence sa mutation. Les Lawson adoptent un enfant, Julia Wagner accueille ses jumelles orphelines et Grace Richardson est enceinte de son premier-né. Le quartier change…

Mais pas qu’en positif. Tout commence avec l’assassinat d’une jeune femme de couleur près de l’usine où travaillent ces messieurs. Il se murmure dans les rangs des femmes au foyer qu’il s’agirait d’une des nombreuses prostituées qui aguichent les hommes le mercredi, jour de paie. Puis, c’est Elisabeth, une jeune voisine un peu attardée, qui disparaît sans laisser de trace. La douce quiétude du quartier s’envole et l’atmosphère de cette fin du mois de juin se fait de plus en plus pesante.

De si parfaites épouses, Lori Roy, Le Masque

De si parfaites épouses nous transporte dans une époque charnière pour la ville de Detroit : certaines usines ferment, des hommes se retrouvent au chômage et la ville amorce son lent déclin économique. C’est aussi une période où la mixité sociale essaie de s’instaurer, sans grand succès. Dans Adler Avenue, des familles de couleur se sont installées dans un immeuble, la résidence Fillmore, au grand dam des familles blanches, qui redoutent la chute du prix de leurs maisons et une hausse de la délinquance. Le racisme, dans l’Amérique des années 50, est particulièrement présent. Les habitants de la résidence Fillmore sont rapidement montrés du doigt quand la jeune Elisabeth disparaît, et que la possibilité qu’elle se soit perdue ou noyée toute seule s’évanouit. La tension entre les deux communautés est quasiment palpable.

Pendant que les hommes sillonnent la ville à la recherche de la jeune disparue, les femmes tentent de maintenir l’apparence de la normalité, tout en se relayant pour apprivoiser les hommes en nourriture et café. Julia Wagner essaie de veiller sur ses nièces, particulièrement dissipées. Grace Richardson, elle, vit les dernières semaines de sa grossesse et déplore de ne pouvoir se montrer plus utile. Malina Herze, elle, sait que son mari a une maîtresse, et essaie de lui dissimuler qu’elle a essayé de l’espionner le soir où la jeune femme noire est morte : sinon, elle sait qu’il la passera à tabac, violence qu’elle subit depuis désormais vingt-cinq ans. Serait-ce elle qui a assassiné cette jeune femme ?

Non, la vie de nos femmes au foyer de Detroit n’a rien d’un fleuve tranquille, et Adler Avenue peut se montrer dangereux. Même sortir vos poubelles le soir peut vous mettre en péril : la douce Grace en fera malheureusement la terrible expérience. Avec la maîtrise dont elle avait déjà fait preuve dans Bent Road, Lori Roy dépeint le quotidien et les travers d’un microcosme d’un autre temps, et parvient à nous fasciner pour la vie d’une poignée de banlieusardes des années 50. Tout au long du roman, elle nous tient en haleine : qu’est-il arrivé à Elisabeth ? Lori Roy n’hésite pas à jouer avec nos attentes pour mieux nous surprendre, nous livrant une fin très réussie, et plutôt intense. Plus qu’un simple polar, De si parfaites épouses tiendrait presque du roman social, tant il s’apparente à un instantané assez complexe de la vie à Detroit en 1958. Vraiment réussi.

De si parfaites épouses, Lori Roy. Le Masque, 2015. Traduit de l’anglais par Valérie Bourgeois.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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