ROMAN HISTORIQUE — Mary Chamberlain est historienne spécialiste de l’histoire des Caraïbes, diplômée de sciences politiques et économiques, consultante en politique et fait partie du collectif Women’s Report, un des journaux les plus importants du Women’s Liberation Movement anglais. Si elle a déjà six ouvrages de non-fiction à son actif, elle ne se consacre entièrement à l’écriture que depuis 2010 ; De pourpre et de soie est son premier roman.
Londres, 1939. Ada Vaughan, commence à travailler au sein d’un atelier de mode en rêvant à un carrière dans la haute couture, qui verrait son nom couronner une maison de mode. La jeune écervelée a 19 ans, voudrait ne vivre que d’aventures, d’amour et d’eau fraîche, sortir du quartier populaire où elle a grandi et s’affranchir de sa trop nombreuse (et trop peu sophistiquée) famille. Impossible, dès lors, de résister au très énigmatique et au très charmant Stanislaus von Lieben, comte hongrois, lorsqu’il entreprend une cour assidue mais néanmoins élégante et lui propose de l’emmener… à Paris. Ada falsifie ses papiers, obtient son passeport et s’envole avec son tourtereau, au mépris des avertissements de ses parents et de sa patronne, sans tenir compte des rumeurs annonçant l’imminence d’une guerre. La semaine est idyllique, mais s’achève dans la violence : la France et le Royaume-Uni entrent en guerre contre l’Allemagne. Stanislaus est donc coincé en France : le Royaume-Uni ne laissera jamais rentrer un ressortissant de l’ex-empire germanique. Il propose à Ada de filer vers Namur. Celle-ci accepte alors que son instinct lui hurle de rentrer par le premier bateau pendant qu’il en est encore temps. Elle suit donc son amant… et court à sa propre perte. L’entrée en guerre devient en effet très vite le moindre des maux qu’elle devra endurer.
Passée la frontière, point de salut, pourrait-on dire. Il y a les romans historiques narrant le déchirement de voir sa patrie envahie, de subir les attaques incessantes sur son sol ou l’occupation ennemie. Il y a aussi les romans historiques narrant l’horreur d’être coincé à l’étranger au moment de la déclaration de guerre, sans espoir de pouvoir rentrer chez soi. De pourpre et de soie est de ceux-là. Mary Chamberlain y retrace le portrait d’une femme – certes pas très futée – qui tombe de Charybde en Scylla. Au fil des années de guerre, elle sera exilée, cachée par des religieuses, aide-soignante-prisonnière dans un hospice, mère éphémère ou encore esclave-couturière du commandant du camp de Dachau. On pourrait penser que la fin de la guerre sonnerait le glas de cet enfer sur Terre mais, non : Ada semble s’y connaître pour se fourrer dans les ennuis.
Le roman est assez dense, car loin de se concentrer sur les seules années de guerre – bien qu’elles en occupent une bonne moitié. De fait, on suit Ada dans ses terribles mésaventures, les pires n’étant peut-être pas – assez paradoxalement – celles qui surviennent durant le conflit mondial. Tour à tour, on admire la force de la jeune femme qui se concentre sur son rêve d’enfant (Maison Vaughan, créations de mode) pour ne pas sombrer dans la folie et le désespoir, on se prend d’affection pour elle ou, au contraire, il nous passe des envies de la houspiller. Car Ada est loin d’être parfaite et son défaut le plus agaçant semble être la bêtise confondante dont elle fait preuve en matière de relations amoureuses. Non contente de se faire piéger de la plus abjecte des façons une première fois, elle récidive et tombe dans un piège similaire… C’est hautement agaçant mais cela fait partie du charme du personnage.
Au fil des chaprites, Mary Chamberlain survole la guerre – l’ensemble étant narré par une Ada enfermée et totalement centrée sur son travail de haute couture et des préoccupations s’y rapportant. D’ailleurs, cette partie du roman devrait ravir les passionnés d’histoire de la mode tant elle est documentée !
Mais au fond, cette histoire pose la question suivante : qu’est-on prêts à faire pour survivre ? Mary Chamberlain construit son récit de façon à nous dévoiler une partie des pensées et sentiments des personnages, tout en en gardant certains qu’elle ne dévoile qu’en guise de révélations, remettant parfois en cause ce que l’on pensait savoir d’eux. Ainsi, elle illustre (sans jamais juger) les compromissions auxquelles l’esprit finit par consentir pour garantir sa survie. Mais l’auteur va plus loin et questionne, en fin de roman, les jugements hâtifs que l’on a pu porter sur telle ou telle personne et ses actions durant la guerre – lesquelles sont sévèrement jugés à l’aune de critères moraux et misogynes particulièrement archaïques. Le jugement est d’autant plus dur qu’Ada est une femme et qu’en tant que telle, il est absolument impossible aux yeux des membres du tribunal – tous exclusivement masculins, on s’en doute – qu’elle ait pu vivre une guerre aussi difficile que celle qu’ont connue les soldats. Le procès d’intention arrive donc forcément très vite.
En somme, si Ada peut s’avérer la pire des tête à claques, sa destinée d’écervelée conduit Mary Chamberlain à évoquer avec talent, sur fond de guerre, la mode, mais surtout la condition des femmes dans les années 40. Et force est de constater qu’elle n’était guère brillante.
C’est un roman que j’aimerais beaucoup découvrir ! 🙂